Leur aventure pourrait nous être indifférente. Elle ne l’est pas. La multiplication des expulsions, par la France de Nicolas Sarkozy, de jeunes Marocains – lycéens pour la plupart – à l’aube de leur majorité, ne crée pas seulement un profond malaise. Elle porte en elle un message qui ne ressemble en rien à l’image que la France s’évertue à faire valoir sur le théâtre des rencontres internationales ou à l’occasion de généreux discours à l’intention des masses.
Le dossier que nous présentons cette semaine témoigne de la violence, dans son acception la plus large, à laquelle nos jeunes compatriotes ont été confrontés. Appréhendés, placés en cellule de rétention, conduits de force dans le premier avion en partance pour le Maroc, interpellés et longuement interrogés à leur arrivée par la police locale, parfois placés en cellule, et ?nalement abandonnés à leur sort dans un pays qu’ils ne (re) connaissent pas… Qui dira les traumatismes subis ?
Le malaise ressenti tient d’abord à la nature même de ces expulsions. Ainsi, de jeunes Marocains, lycéens parfaitement intégrés, camarades appréciés de leurs amis français, souvent brillants élèves en quête d’un cursus quali? ant pour accéder dans les meilleures conditions à la vie active, se retrouvent-ils à devoir subir les conséquences d’une politique d’immigration singulièrement durcie qui, à 18 ans, les place de facto en situation irrégulière.
Nul ne contestera à la France la liberté qui est la sienne de contrôler ses ?ux migratoires. Leur encadrement est à l’évidence nécessaire à l’heure où l’Europe tout entière voit s’accroître la pression des migrations, en raison de la crise économique qui affecte durablement les pays du Sud, ou des tensions politiques que subissent nombre de pays en proie aux con?its de tout ordre. La loi n’en est pas moins faite pour être appliquée avec discernement, et, disons-le, un minimum d’humanité. N’y a-t-il pas quelque contradiction à s’af?cher aux yeux du monde entier en « patrie des Droits de l’Homme » et à s’affranchir du respect dû à la personne en refusant l’examen, au cas par cas, de dossiers dont beaucoup montreront au ?nal leur pertinence. À quoi sert-il que la police française expulse Najlae Lhimer le 20 février pour que Nicolas Sarkozy se déclare prêt à l’« accueillir » moins de trois semaines plus tard ?
Au-delà de ces expulsions humainement traumatisantes, et politiquement inutiles, c’est l'image même de la France qui se trouve fragilisée. La politique initiée par le président de la République française témoigne en vérité d’un formidable aveu d’impuissance. Hier revendiqué comme témoin de la réussite française et de ses capacités d'intégration, l’ascenseur social ne fonctionne plus. Pire, c’est l’aveuglement d’une majorité politique, regagnée par de vieux démons, qui appuie sur le bouton rouge. Celui du rejet de l’autre, de l’étranger comme des enfants de l’immigration, fussent-ils en parfaite capacité d’insertion. Un blocage de nature à désespérer les meilleures intentions et à laisser en déshérence, dans les quartiers, une jeunesse en quête de reconnaissance. Cette France crispée, recroquevillée sur elle-même, en quête de cette « identité nationale » incarnée par Eric Besson, le natif de Marrakech, est à l’opposé de cette démocratie que nous aimons. Celle d’une société apaisée qui sait offrir, à tous, les moyens d’une promotion sociale, facteur d’une intégration réussie.
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