Il fut un temps, pas si lointain, où les Marocains avaient beaucoup moins de liberté. Mais ils n’hésitaient pas à la revendiquer. Une liberté pour laquelle ils prenaient des risques, vivaient en exil ou croupissaient dans les geôles de Basri. Avoir un idéal donne du courage.
Aujourd’hui, on séjourne moins à Kénitra pour ses opinions – heureusement – , sauf si elles consistent à vouloir supprimer son prochain. Mais le problème, c’est qu’on a justement… moins d’opinions. Depuis la sortie du très populiste Hamid Chabat sur la consommation d’alcool, y a-t-il eu un seul débat digne de ce nom dans notre pays ? D’ailleurs, le jihad anti-bars de Chabat relevait plus d’une stratégie polémiste que d’un véritable enjeu de société. Il était aussi le symptôme d’une classe politique marquée par un puritanisme latent et une certaine péjidisation des esprits.
Mais il faut reconnaître que seul le PJD propose un projet de société cohérent à défaut d’être souhaitable. Le projet des autres partis, c’est d’abord de conserver le pouvoir ou de le prendre. Le nivellement par le bas des formations politiques est tel que les dernières sorties des islamistes sont purement politiciennes. Les fatwas de Benkirane contre le PAM ou la tragi-comédie de la vraie fausse démission de Ramid cette semaine sont à la limite du grotesque.
Mais au moins ceux-là s’agitent-ils. Le silence des autres partis en devient d’autant plus assourdissant. Comme si aucun sujet ne méritait débat. Qui s’intéresse à la réforme de la santé ? Les lobbyistes, laboratoires, pharmaciens ou médecins, qui confisquent le débat au détriment des politiques ! Et les bidonvilles ? Dix ans après l’annonce de leur éradication, on constate que le processus est un échec. L’Intérieur reprend les choses en main… et les partis laissent faire sans avoir rien tenté.
À l’exception de la sortie du PAM, personne n’a réclamé de sanctions à la suite de la publication du dernier rapport de la Cour des comptes. Qui peut citer une réaction d’un homme politique d’envergure sur des sujets aussi fondamentaux que la réforme de l’éducation ou la lutte contre la corruption ? Qui a entendu une voix s’élever pour protester contre les récentes décisions liberticides de la HACA ou les expulsions frénétiques d’évangélistes ? Personne. La classe politique est devenue peureuse et conformiste. Elle infantilise le pays alors même que le champ des libertés s’est considérablement accru. La politique devient un sport aussi passionnant qu’une rencontre Japon-Paraguay. On se cache derrière le roi qui lance les plus grandes réformes et on s’étonne que la politique n’intéresse plus personne. Au moins, il y a quelques années, on accompagnait les réformes royales et un million de personnes signaient une pétition pour une nouvelle moudawana tandis qu’ils étaient autant à défiler contre. Aujourd’hui, il ne reste qu’une lâche passivité. Se retrancher derrière le souverain, c’est bien plus confortable que de défendre des idées alors que le pays a besoin de toutes les énergies. La démocratie ne s’use que si l’on ne s’en sert pas.
L’ironie de l’histoire, c’est que ceux qui provoquent cet engourdissement de la pensée politique sont souvent ceux qui réclamaient la révolution il y a quelques années… Mais la soif d’idéal a laissé place à l’appétit du pouvoir.
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