Le nouveau bras de fer entre les syndicats de médecins et leur ministre de tutelle pourrait ne constituer qu’un aimable et énième épisode du petit jeu auquel s’adonnent périodiquement pouvoirs publics et syndicats (lire pages 44 à 46). Les premiers en s’efforçant, non sans difficulté, de faire évoluer une législation souvent obsolète. Les seconds en s’érigeant en défenseurs des intérêts forcément intangibles de leurs adhérents.
Mais la multiplicité des crispations auxquelles nous assistons régulièrement ces derniers mois témoigne d’une tout autre considération. Notre société semble battre au rythme des convulsions qui tiennent lieu de dialogue entre partenaires sociaux. On ne peut tout à la fois reprocher au gouvernement, et singulièrement à quelques-uns parmi les ministres les plus actifs, de ne pas soumettre des projets de réformes, et dénoncer quasi systématiquement ces mêmes projets au prétexte qu’ils viennent remettre en cause des situations confortablement établies.
La liste est longue de ces réformes qui, sitôt présentées, ont été balayées par des organisations syndicales ou des leaders de mouvements de contestation manifestement plus enclins à défendre leur pré carré qu’à ouvrir un dialogue constructif. La position aujourd’hui adoptée par les médecins relève d’un coupable comportement. Yasmina Baddou, la ministre de la Santé dont il nous arrive parfois de contester la politique, engage ici une démarche salutaire. Cette réforme, courageuse, entreprise au bénéfice de la modernisation attendue des cliniques, mérite assurément mieux que le statu quo sur lequel s’arcboutent les syndicats de médecins. À l’instar des légions romaines, ils ont choisi de camper en formation de tortue sur leurs positions monopolistiques, protégés par un statut qu’ils entendent, contre tout réalisme, voir perdurer. S’en tenir à une telle position, purement idéologique, c’est méconnaître la réalité d’un secteur – celui de la santé – dont les nouveaux paradigmes imposent de sortir des carcans d’une médecine administrée. Leur position serait assurément plus légitime, et plus crédible, si le système de santé qu’ils entendent défendre contre vents et marées présentait des performances qualitatives autrement plus visibles par les patients et leurs familles.
Mais les médecins ne sont pas seuls sur ce terrain du statu quo. Nombre de secteurs s’accordent à défendre inlassablement leurs acquis, fussent-ils d’un autre âge, en décalage complet avec la modernisation de notre société. Il en va ainsi de la Justice – pointée du doigt par une grande majorité de justiciables, comme par nos partenaires européens – dont les magistrats se révèlent peu enclins au mouvement. De même, si nos enseignants aiment à revendiquer, souvent à raison, une évolution de leur statut ou de leurs salaires, ils peinent à remettre en cause la réalité de leur mission et de leur rôle au bénéfice d’une jeunesse en quête d’une solide formation. Et l’on reste confondu devant l’attitude de salariés de la Poste qui voient dans la création de la Banque Postale un ennemi intérieur qui les priverait de l’aboutissement de leurs revendications, au point de perturber la cérémonie officielle de lancement et de contraindre leur ministre de tutelle de battre retraite !
S’il n’est pas anormal d’observer ici ou là quelques tensions au sein d’une société en mouvement, encore faut-il ne pas avoir peur du changement. Et encore moins du dialogue entre partenaires responsables. De ce point de vue, au regard des derniers événements, beaucoup reste à faire si nous voulons avancer sur la voie d’une société réformatrice apaisée.
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