La nouvelle n’a provoqué aucun remou. Et pourtant, elle est hallucinante. Nessma TV, une chaîne à vocation maghrébine avec des capitaux berlusconiens, basée en Tunisie, diffuse en exclusivité les deux plus gros succès cinématographiques de ces dernières années au Maroc : Casanegra et Marock. En prime, Nessma a également programmé un documentaire d’anthologie sur les Chikhates, inédit sur les chaînes marocaines.
C’est énorme. Imaginez que La môme soit diffusé depuis une télé portugaise dans les foyers français ou qu’une chaîne vénézuélienne arrose les foyers américains avec Avatar. C’est impensable et cela provoquerait un tel scandale que les chaînes nationales s’empresseraient de récupérer les exclusivités.
Mais chez nous, on s’en fout. Et c’est grave. Car c’est de souveraineté culturelle qu’il s’agit. Notre élite vit à l’heure de CNN ou France 2. Le peuple se gave de chaînes égyptiennes ou du Golfe. Et quand il allume notre chaîne nationale, c’est pour ingurgiter des feuilletons mexicains consternants (et en plus, charcutés par la censure !). Or, la télé est le principal vecteur culturel dans la plupart des pays du monde. Laisser notre culture en jachère est une faute que l’audimat ne peut justifier. Nous avions, peut-être, il y a quelques années, la meilleure télé du monde arabe avec 2M. Elle est devenue l’une des pires.
En attendant, les Marocains se détournent de leur télé et ceux qui la regardent ne sont assurément pas tirés vers le haut. Il y a bien sûr (sur 2M, ne parlons même pas d’Al Oula), des exceptions, des débats de qualité, des reportages sans langue de bois, quelques fictions réjouissantes, mais elles sont rares. Au point que les jeunes, les téléspectateurs de demain, se détournent déjà , et peut-être à une vitesse plus rapide que les jeunes occidentaux, de la télé. Pour vivre à l’heure d’internet.
Que Casanegra ne soit pas diffusé à une heure de grande écoute peut certes se concevoir. Mais dans toutes les télés du monde, les films de ce type sont programmés en deuxième partie de soirée. 2M qui visait à fédérer le Maroc moderne et le Maroc traditionnel a failli à sa mission.
Peut-être s’agit-il d’une mission impossible. Mais alors, laissons d’autres chaînes s’épanouir qui répondront aux besoins de tous les Marocains. La HACA a recalé tous les projets de télé l’année dernière en raison d’un marché publicitaire qui n’était, soit disant, pas mûr. C’est oublier que c’est parfois l’offre qui crée le marché et que, pour l’instant, aucune chaîne marocaine ne vise une cible A ou B. C’est aussi faire fi de l’envergure financière des porteurs de projets qui auraient pu soutenir leurs chaînes jusqu’à ce que le marché soit prêt. À moins que l’émergence d’une télé moderne soit quasi impossible dans un pays où le moindre « faux pas » est soumis à la censure de la même HACA… comme on l’a vu avec les coupures d’antenne de Radio Mars et Radio Plus. Déjà , les télés marocaines hésitent à inviter des personnalités qui ne sont pas consensuelles comme Aïcha Ech-Chenna, ou considérées comme sulfureuses comme Noor. La première était invitée mercredi sur Ness Nessma, la seconde le fut en août. Toutes deux sont aussi une part du Maroc.
Le plus navrant dans cette histoire, c’est de constater que c’est un pays comme la Tunisie, qui est loin d’être un modèle de démocratie, qui nous donne aujourd’hui des leçons d’ouverture d’esprit !
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