Ce qui se passe cette semaine à Rabat est un événement d’ampleur mondiale. A part la coupe du monde, pas un pays d’Afrique n’accueillera cette année une manifestation d’une telle envergure. Les festivals européens peuvent aussi aligner des stars ; d’ailleurs, ils ne vont pas se priver de programmer les génies de la pop, de la soul et du rock que nous verrons en avant-première, mais ils font payer leur public et installent rarement plus d’une scène.
A Mawazine, de Souissi à Salé, de la Villa des Arts au théâtre Mohammed V, ce ne sont pas moins de neuf podiums qui accueilleront Elton John, Maurane et Elissa. Plus de deux millions de personnes vont profiter de l’événement et ne sauront plus où donner de la tête quand il faudra choisir entre Jamel Debbouze avec Maghreb United à Yacoub El Mansour et Mika à Souissi.
On ne va pas bouder notre plaisir. Dans la foulée des gnaoua d’Essaouira, le Maroc s’est spécialisé sur le marché des festivals. Cette politique culturelle de masse prouve qu’on peut offrir la qualité au plus grand nombre en faisant habilement débourser les sponsors privés. Et s’il y a un seul regret à émettre quand on consulte la programmation de Mawazine aussi copieuse qu’un menu de restaurant chinois, c’est qu’à de très rares exceptions, les fusions « à la gnaoua » sont absentes du programme. On aurait pourtant rêvé d’un duo entre Oum et Sting ou d’un bœuf entre Ramy Ayach et Julio Iglesias…
Car Mawazine, c’est aussi l’occasion de montrer au monde la vigueur de la création marocaine. Notre nayda est une movida qui n’en finit plus et aujourd’hui les artistes du Royaume n’ont rien à envier à quelques-uns de leurs prestigieux modèles. Hoba Hoba Spirit dégage une énergie comparable à la Mano Negra. Barry a une voix et une présence sur scène telles que s’il trouvait son Jean-Jacques Goldman pour marketer son talent, on pourrait lui prédire une carrière à la Khaled. Don Bigg ou Haoussa, dans les musiques de genre, prouvent que la darija est une langue rap et punk. Mazagan ne déparerait pas dans un festival de musique celtique. Quant à Oum, ses vocalises peuvent envoyer se rhabiller n’importe quelle lauréate de la StarAc.
Nous avons un potentiel extraordinaire Ă montrer au monde. Après L’Boulevard oĂą le metal marocain a exhibĂ© ses alliages de qualitĂ© et son public de folie, Mawazine est une vĂ©ritable vitrine pour notre pays. Nous ne devons pas mĂ©priser le potentiel Ă©conomique (et politique) que recèle la culture, et a fortiori la culture rock. Les Japonais ont su thĂ©oriser ce concept de pouvoir culturel qu’ils nomment le soft power. Grâce aux mangas, au cinĂ©ma, Ă la littĂ©rature et aux arts plastiques, le Japon est devenu la deuxième puissance culturelle du monde – et la première pour nombre d’adolescents et de jeunes adultes d’Occident ou d’ici. Ce pouvoir est synonyme de modernité… et de points de PIB. Pour l’heure, la culture marocaine qui s’exporte relève du folklore. Or nous avons un potentiel artistique (en musique mais aussi dans les arts plastiques, le cinĂ©ma, l’architecture…) qui mĂ©rite qu’on le valorise. Une politique culturelle ambitieuse serait bien plus efficace pour l’image du Royaume que la confection d’un drapeau de 20 tonnes qui ne tient mĂŞme pas debout. Car ĂŞtre une puissance culturelle, c’est ĂŞtre une puissance tout court. â–
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