Abbas El Fassi est un citoyen respectable. L’homme politique, qui a fait du seul exercice du pouvoir sa raison d’être, est un homme contestable. Tous ceux qui ont eu à le croiser depuis plus d’une trentaine d’années dans les coulisses du pouvoir le savent : Abbas El Fassi est frappé d’une quadruple addiction. Addiction au pouvoir, addiction aux jeux de la politique, addiction à la langue de bois, addiction à l’autocélébration.
Abbas El Fassi a toutefois une excuse. Voilà très exactement trente-trois ans qu’il arpente la scène politique. Avant même sa nomination au ministère de l’Habitat, en 1977, l’ex-étudiant militant nationaliste, mué en ambitieux avocat, avait montré sa capacité à se trouver au bon endroit, au bon moment. Une telle aptitude demande quelques qualités, à tout le moins une excellente prédisposition à l’exercice du pouvoir dans son acception la plus large. Mais ce qui pouvait hier apparaître comme une qualité indispensable résiste-t-il à l’usure du temps ?
L’âge du capitaine ne fait rien à l’affaire. Ce n’est pas la gérontocratie menaçante qui inquiète. L’Histoire regorge d’hommes politiques parvenus au sommet du pouvoir sur le tard et qui ont marqué de leur empreinte la politique de leur nation. Abbas El Fassi s’inscrit dans une tout autre tradition. Celle de jeunes loups de la politique qui, ayant goûté aux délices du pouvoir, n’ont plus comme objectif que de s’y accrocher contre vents et marées. De ce point de vue, notre Premier ministre peut se targuer d’avoir réussi une belle carrière.
Nous pourrions nous en réjouir si le chef de la majorité qu’il prétend être permettait à ce pays d’avancer au rythme des réformes engagées par un roi conscient de l’urgence, et pilotées par des responsables politiques comptables de leurs actes. Rien de tel à mi-mandat. Nombre de chantiers –Education, Santé, Habitat, Culture, Justice, Affaires étrangères – n’ont pas été engagés avec le volontarisme nécessaire, ou l’ont été avec un manque patent de discernement. L’engagement de la dream team qui,  de l’Industrie à l’Agriculture, de l’Energie à l’Equipement ou au grand argentier du Royaume, permet au Maroc de conserver la confiance des partenaires internationaux, masque difficilement les défaillances qui perdurent dans l’exercice d’une gouvernance au service d’un pays en quête de cette « société solidaire et équilibrée » revendiquée par la Primature.
Lorsque le jeu malsain des équilibres politiques l’emporte sur la qualité des prétendants, lorsque les guerres intestines menacent de scission une majorité hétéroclite, lorsque les disparités de compétences au sein d’un gouvernement contesté de toutes parts sont à ce point criantes, pour légitime qu’il soit, le Premier ministre doit en prendre acte. Et présenter sa démission.
« Errare humanum est, perseverare diabolicum. » Sénèque le Jeune avait, voici un peu plus de 2000 ans, érigé la vertu en bien souverain. Notre Premier ministre ne devrait pas ignorer que s’« il est humain de se tromper, persévérer est diabolique ». A l’heure du bilan, l’honnêteté comme la raison devraient le conduire à se retirer.
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