Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera. Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire. » Ce beau texte, maintes fois actualisé au cours de l’histoire, trouve son origine au IVe siècle avant Jésus-Christ, en un temps où la Grèce ne plombait pas les marchés mais éclairait le monde. C’est le serment d’Hippocrate ; un texte prononcé par de nombreux médecins marocains après avoir soutenu leur thèse.
Dix ans plus tard, les mêmes ouvrent une clinique et oublient ces belles paroles. Les malades qui frappent à leur porte doivent d’abord se délester de quelques milliers de dirhams – parfois en cash ! –, avant d’espérer le moindre pansement. Vous n’avez pas les moyens ? Vous pouvez crever.
Ou aller à l’hôpital public. Sur place, vous ferez l’expérience des urgentistes qui vous consultent en bavardant sur leur mobile et qui sont incapables de diagnostiquer une fracture. Vous découvrirez que les internes envoient les patients passer des radios sur la table encore ensanglantée du blessé précédent, en omettant d’administrer la moindre piqûre pour soulager les souffrances… Bienvenue aux abattoirs.
Que disait Hippocrate déjà  ? « Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. » Vous avez envie d’aller vous faire voir chez ce Grec, mais en attendant, vous optez quand même pour une clinique privée. A vos risques et périls.
Vous entrez pour subir une ablation de la vésicule biliaire ou une liposuccion. Mais l’anesthésiste omet de vérifier vos allergies ou se trompe de dose et vous passez directement du billard au corbillard. Vous avez survécu ? On vous prescrit des analyses. Vous ne savez pas encore que le labo rémunère le médecin qui lui envoie ses patients. Vous ignorez que le médicament à 500 dirhams sur votre ordonnance existe aussi en générique…
Certes, tous les médecins ne sont pas des margoulins dont l’appât du gain dicterait la conduite. Il n’est pas question de jeter l’opprobre sur l’ensemble d’une profession. Nous connaissons tous des médecins compétents, consciencieux et intègres. Pour notre dossier sur la chirurgie esthétique, nous avons rencontré des chirurgiens qui font honneur à leur profession en refusant des patients qui auraient intérêt à aller s’allonger sur un divan plutôt que sur une table d’opération.
Mais il reste que la médecine au Maroc est entachée d’un mercantilisme qui autorise toutes les dérives. Nous avons un déficit d’éthique. Et une absence phénoménale de sanctions. Un seul médecin a été radié par le Conseil de l’ordre au Maroc (et c’était pour un avortement). Tous les autres seraient-ils aussi blancs que leurs blouses ? On rit jaune.
Il manque une véritable instance de régulation et de surveillance dans le Royaume pour guérir notre médecine de ses maladies infantiles : cupidité, corruption et « je-m’en-foutisme ». On serait en droit d’attendre de la ministre de la Santé qu’elle prescrive un remède à la hauteur des maux qui affectent notre système et fasse cesser cette impunité. Pour que des hommes en blanc ne regrettent pas d’avoir clamé un jour : « Que les hommes et mes confrères m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ; que je sois déshonoré et méprisé si j’y manque. »
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