Les soubresauts post-révolutionnaires qui agitent l’Egypte et la Tunisie ne laissent pas indifférent. Au Caire, pro et anti-Morsi s’affrontent à proximité de la résidence présidentielle, et les libéraux et laïques qui n’entendent pas se faire imposer une Constitution à la main des Frères musulmans campent sur la place Tahrir, hier haut lieu du soulèvement contre Moubarak.
A Tunis, les salafistes mènent leur guerre d’usure contre tous ceux qui s’écartent du droit chemin de la charia, sous l’œil sinon bienveillant, du moins complice d’un Premier ministre, Hamadi Jebali, en conflit ouvert avec le président Marzouki.
Au Caire comme à Tunis, mais aussi dans nombre de villes de ces deux pays, la tension est à son comble. Et deux ans après le début du « Printemps arabe », les sociétés égyptienne et tunisienne apparaissent plus que jamais divisées. Les premières élections libres post-Moubarak ou Ben Ali n’ont pas permis d’asseoir l’entière légitimité des nouveaux tenants du pouvoir. Mohamed Morsi a cru devoir s’affranchir de tout contrôle, au mépris des institutions, notamment judiciaires. Et imposer sans tarder un référendum pour une Constitution, sous influence islamiste, bouclée en toute hâte. Hamadi Jebali, lui, continue à vouloir ignorer le désespoir économique et social d’une population qui ne recueille en rien les fruits de sa révolution. Et laisse, dans le même temps, les milices salafistes opérer quasi impunément contre quiconque ne se comporte pas selon les codes de la charia.
Le premier enseignement à tirer de cette double méprise en cours chez nos voisins est assurément que le Maroc se doit de réussir son « expérience islamiste ». Abdelilah Benkirane et tous ceux qui ont accepté de l’accompagner dans son aventure gouvernementale n’ont d’autre choix que de réussir. Ou de disparaître des premières lignes du champ politique. La désormais trop célèbre « exception marocaine » qui fait les délices des chancelleries occidentales n’a en réalité guère de sens. Parce qu’il suffit de gratter un peu sous le vernis de ladite exception pour faire surgir la part d’ombre de nos graves manquements et défaillances. Il n’empêche, il revient bel et bien au chef du gouvernement, par ailleurs toujours secrétaire général du PJD, de démontrer d’abord à nos concitoyens, mais aussi à l’ensemble de nos partenaires, que l’on peut être tout à la fois musulman ET démocrate. La méfiance exprimée par la communauté internationale à l’égard des révolutions arabes, soupçonnées de faire le lit d’un pouvoir islamiste radical, a rapidement trouvé ses limites dans le cas du Maroc. L’arrivée au pouvoir du PJD, en pole position au lendemain des législatives de novembre 2011, n’a pas bouleversé outre mesure le champ démocratique. L’eût-il voulu qu’il en aurait été dissuadé. Ce faisant, Benkirane n’est pas seul en cause. Car, contraint à une cohabitation gouvernementale avec des formations politiques étrangères à son corpus idéologique, le chef du gouvernement doit également démontrer que le Maroc est en mesure de gérer une coalition au mieux des intérêts du pays. Investi de cette responsabilité, primordiale à ce moment de notre rythme démocratique, Benkirane n’a plus de temps à perdre s’il veut réellement donner du sens à l’« exception » marocaine.
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