I l y a quelque chose de désespérant dans le fonctionnement de notre société. L’autosatisfaction qui nous caractérise nous confine parfois, pour ne pas dire souvent, à l’aveuglement. Une cécité rassurante, en forme de déni permanent, qui assure cette bonne conscience qui délivre de tout sentiment de responsabilité.
Et plus encore de toute culpabilité. Qu’il s’agisse d’économie, et sa célèbre « résilience », ou de politique, toutes institutions confondues, les exemples sont nombreux qui, jour après jour et dans une quasi indifférence générale, minent le développement du pays et cantonnent ses habitants dans un statut de citoyens de seconde zone.
La publication du dernier rapport du Conseil national des droits de l’homme (CNDH), qui dénonce des « traitements cruels, inhumains ou dégradants » à l’égard des personnes en situation de détention préventive, ou condamnées à une peine de prison ferme, vient nous rappeler la réalité de ce fâcheux constat. On mesure l’exercice de diplomatie réalisé par Driss El Yazami, le président du CNDH, et les auteurs du rapport – face à l’accumulation des éléments rapportés au terme de cinq mois d’enquête au cœur de quinze établissements pénitentiaires – pour évoquer à nouveau la triste réalité de nos prisons. Huit ans après un premier rapport, resté lettre morte, où les mêmes faits d’atteinte à la dignité des personnes étaient amplement décrits et dénoncés, la torture est encore, n’en déplaise à notre ministre de la Justice, pratique courante dans les prisons marocaines.
De Guantanamo à Abou Ghraib, nous nous indignons généreusement des comportements coupables de telle ou telle administration pénitentiaire à l’égard de ses prisonniers. Mais nous continuons à fermer les yeux sur les traitements indignes qui se perpétuent derrière les murs de nos propres prisons. Et pourquoi nous en inquiéterions-nous puisque notre déni collectif puise sa source à tous les étages du gouvernement, quelle que soit sa couleur politique ?
C’est précisément ce que tient à souligner le CNDH, une institution officielle – faut-il le rappeler – dont tous les membres sont nommés par le roi. Car si l’administration pénitentiaire est à l’évidence en première ligne, elle ne saurait être la seule incriminée. L’intitulé du rapport, « La crise dans les prisons, une responsabilité partagée », en dit long sur la complicité passive des pouvoirs publics maintes fois alertés, mais toujours restés sourds aux plaintes des détenus comme aux interpellations des associations de défense des droits de l’homme. Or, c’est toute la chaîne policière, judiciaire et politique qui se trouve aujourd’hui interpellée par le CNDH. Si certains avaient pu, voici peu, ironiser sur la « qualité » et la « légèreté » du travail de quelques parlementaires inquiets de la situation dans les prisons, l’enquête approfondie du CNDH ne saurait, cette fois, être accueillie avec les mêmes réserves. Au constat accablant dressé par Driss El Yazami, on attend du gouvernement une réponse rapide, ferme, et à la hauteur des enjeux. En formulant pas moins de cent propositions pour remédier à la crise des prisons et aux dérives récurrentes de la machine judiciaire et pénitentiaire, le président du CNDH lui en donne l’opportunité. Le sort des prisonniers, hommes et femmes confondus, et l’image du Maroc – passablement ternie par ces dérives – méritent assurément qu’un « dialogue national » soit lancé sans tarder. Et des mesures concrètes engagées. Ou faudra t-il, une fois encore, attendre une initiative royale ?
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