On devrait l’exporter plus souvent. C’est un Abdelilah Benkirane de compétition qui a porté la voix du Maroc à Strasbourg lors du Forum mondial de la démocratie organisé par le Conseil de l’Europe. De l’humour, de l’ironie, du second degré, mais aussi du sens, le chef du gouvernement ne nous avait plus servi depuis longtemps cette rhétorique subtile, bien loin de ses emportements populistes et autres jérémiades sur les « crocodiles » et les « démons ».
Face au Conseil de l’Europe, il a donné élégamment une leçon à ceux qui ne se privent pas de nous en donner  : « Moi, je n’ai pas peur de votre crise économique […] S’il faut diminuer un peu votre façon de vivre, faites-le. C’est tout et vous aurez réglé tous vos problèmes. » Un discours pas très orthodoxe économiquement mais qui a le mérite de rappeler à la plaintive Europe que chez nous, la moitié de la population vit avec rien ou pas grand-chose.
Benkirane a également trouvé les mots justes pour souligner combien les atermoiements de nos partenaires du Nord sur les délocalisations nous faisaient mal : « Vous ne pouvez pas venir hier, parce que ça vous arrangeait, et repartir (aujourd’hui) parce qu’il y a un petit son de cloche de crise. » Bien envoyé. On est loin des interventions ectoplasmiques d’un El Fassi !
Bref, le chef du gouvernement marocain s’est fait remarquer et il a récidivé lors d’une interview sur France 24. Face à une journaliste qui s’emmêlait un peu les pinceaux dans ses questions sur des sujets que visiblement elle maîtrisait mal, il a eu beau jeu de souligner que « les Français doivent cesser d’imaginer que le Maroc est une deuxième France ». Quand elle lui fait part des soupçons qui pèsent sur les islamistes, il rétorque : « Quand on ne fait pas d’erreur, on nous fait des procès d’intention. » Benkirane a réponse à tout et son intervention très équilibrée sur le drame d’Amina Filali est tout à son honneur.
Les réseaux sociaux n’ont pas manqué de souligner la qualité et la justesse des interventions du chef du gouvernement en Alsace. Certains, parmi ses adversaires, se demandant même si l’usage du français ne lui donnait pas des ailes en lui permettant d’élever le niveau ! Ce qui est certain, c’est que ce chef de gouvernement qui fait si peu à l’intérieur a bien représenté le Royaume à l’extérieur. Avec ce type de discours, nous nous distinguons des dérives plus outrancières de nos voisins. Sans pour autant céder un pouce de notre dignité.
Et il n’est pas anecdotique que cette rhétorique ait été prononcée dans le pays où le candidat déclaré à la présidence du principal parti de droite, Jean-François Copé, déclenche la même semaine une polémique ouvertement islamophobe en évoquant les enfants qu’on priverait de « pain au chocolat » pendant le ramadan. Hors de nos frontières, rasé au millimètre et cravaté, Abdelilah Benkirane se poserait presque comme le défenseur mesuré d’un islam vraiment modéré.
Il se démarque surtout grâce à ce charisme qui avait séduit jusqu’aux villas cossues d’Anfa et de Souissi lors des législatives. En Europe, Benkirane était aussi un peu en campagne. Le leader du PJD n’est jamais aussi bon que lorsqu’il s’agit de séduire et de convaincre. Mais c’est au pied du mur qu’on voit le maçon. Le ministre de la parole se confronte aujourd’hui à l’épreuve des faits. L’orateur surdoué semble bien plus évasif et timoré lorsqu’il s’agit de nous expliquer le contenu de sa première loi de Finances. Mais se coltiner à la réalité, c’est une autre paire d’effets de manche...
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