La guerre est déclarée. » Cette phrase d’une intervenante du Women’s Tribune à Essaouira le week-end dernier est peut-être excessive mais son auteur a pourtant recueilli maints applaudissements dans la salle. Car si la guerre n’est pas ouverte entre obscurantistes et progressistes du Royaume, elle couve dans plusieurs pays arabo-musulmans ; et une véritable ligne de front s’est constituée en Tunisie.
Ce pays qui fut, par certains aspects, exemplaire est aujourd’hui en bute à des attaques en règle contre ce qu’il recelait de meilleur : le statut de la femme. Au point que certains finissent ouvertement par regretter Ben Ali ! L’histoire de la jeune femme violée par deux policiers est à cet égard emblématique. Mariem (c’est un nom d’emprunt) est arrêtée avec son fiancé dans la nuit du 3 ou 4 septembre par trois fonctionnaires de police. Tandis que le jeune homme est menotté, la jeune femme est conduite à l’arrière de son véhicule où elle est violée par deux des trois hommes. Dans la voiture, des preuves attestent de l’agression sexuelle et les policiers sont incarcérés. A comportement innommable, on oppose une justice irréprochable. Or, après avoir subi cette agression physique, Mariem a dû subir une agression morale d’une violence inouïe. Les policiers ont en effet porté plainte contre le couple pour attentat à la pudeur. Et le porte-parole du ministère de la Justice a assumé ces poursuites en déclarant : « Le fait d’être une victime ne fournit pas d’immunité. »
Oui, vous avez bien lu : une victime d’un viol collectif commis par des fonctionnaires de l’Etat a été inculpée pour outrages aux bonnes mœurs parce qu’elle circulait avec son fiancé. Et l’Etat a couvert ses criminels. Il est probable que, face au tollé provoqué par cette affaire, la justice tunisienne ne retienne pas la plainte, et déjà le gouvernement fait marche arrière. Mais pour autant l’histoire de Mariem est un véritable révélateur d’une société en crise qui nous renvoie à nos propres failles.
D’abord parce que l’impunité dont voudraient profiter les policiers tendrait à prouver qu’ils considèrent la révolution comme une parenthèse vite refermée. Le soutien implicite de leur hiérarchie est inquiétant à plus d’un titre. Cela signifierait-il que les islamistes au pouvoir se satisfont d’un système répressif hérité d’un régime autoritaire ?
L’autre leçon à retenir de cette histoire est plus encourageante. La formidable mobilisation des Tunisiennes (et des Tunisiens) a réussi à infléchir la position du pouvoir en attirant l’attention des médias du monde entier. En Tunisie, les éléments les plus régressifs sont les plus agressifs. Mais la société sait se défendre. Ils sont nombreux à être vent debout contre chaque tentative de grignotage des libertés individuelles. C’est bien parce que la société civile s’est mobilisée que l’article de la Constitution qui devait remplacer l’égalité entre les hommes et les femmes par une simple « complémentarité » a été retiré. Cette combativité manque cruellement au Maroc où les éléments les plus progressistes s’éparpillent dans des querelles inutiles. Le courage des Tunisiens contraste singulièrement avec notre lâcheté ou plutôt une certaine forme de fainéantise militante.
Mais Mariem est aussi un symbole paradoxal. Elle est soutenue par son fiancé, ses amis, une frange importante de son pays et l’opinion internationale... mais sa famille garde le silence. Comme si la souffrance du viol ne pesait rien au regard de l’opprobre qu’il provoque. Comme si, ainsi que le scandaient les manifestantes de Tunis, la femme n’avait le choix qu’entre deux statuts : violée ou voilée. Combattre pour les libertés ne suffit pas. Ce sont les mentalités qu’il faut d’abord faire bouger. Et ça, même Bourguiba n’y est pas parvenu. Alors, chez nous...
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