L’absence de croissance en Europe peut avoir des conséquences très importantes, et engendrer de graves troubles politiques et sociaux. » Devant les étudiants de l’Université privée de Marrakech, Dominique Strauss-Kahn parle d’or.
L’ancien patron du FMI n’est assurément pas le seul à penser cela, et l’on serait tenté de lui objecter que s’il y a aujourd’hui, ici et là , absence de croissance, le FMI que pilote désormais Christine Lagarde n’y est pas tout à fait étranger…
La nouvelle grève générale subie par la Grèce ce mercredi, avec sa cohorte de manifestations ; les très violents affrontements qui se sont déroulés dans la nuit de mardi à mercredi à Madrid, aux abords du Parlement que les manifestants voulaient envahir ; les centaines de milliers de Portugais descendus dans la rue samedi dernier… témoignent de la désespérance d’une grande partie de la population des pays de la zone euro parmi les plus touchés par la crise, et particulièrement des jeunes.
Pris isolément, ces événements pourraient apparaître comme autant d’épiphénomènes passagers nourris par une crise de confiance des citoyens à l’égard de leurs gouvernants. Mais c’est tout le sud de l’Europe – de la Grèce au Portugal, de l’Italie à l’Espagne – qui s’enflamme désormais. Déjà soumis à des mesures drastiques pour renforcer une politique d’austérité, condition sine qua non des versements liés aux plans de sauvetage accordés par le FMI, l’Union européenne et la Banque centrale européenne (BCE), l’annonce de l’aggravation de ces mesures (baisse des salaires et allocations sociales, hausse des impôts, baisse des retraites) place ces pays sur un baril de poudre. Et nul ne semble réellement en mesure de proposer les politiques susceptibles d’éteindre la mèche.
La politique d’austérité imposée par la « troïka » place bel et bien les Européens face à un risque systémique de « graves troubles politiques et sociaux ». Ceux-là mêmes qui rappellent les heures les plus noires d’une histoire pas si lointaine. La radicalisation d’une jeunesse désespérée, la montée en puissance de l’extrême droite en Europe se nourrissent de la crise et de ses conséquences dramatiquement quotidiennes. Omniprésents dans les rues avec force drapeaux et chants, portés au Parlement à la faveur des dernières élections, au plus haut dans les sondages au fur et à mesure que l’austérité se renforce, les néonazis du parti Aube dorée menacent aujourd’hui clairement le pays qui a vu naître la démocratie. La tentation du repli sur soi est grande. L’exemple de la Grèce pourrait ne pas rester isolé.
Lorsque le taux de chômage atteint plus de 15% ou 20% d’une population active qui voit ses revenus s’effondrer, quand un jeune de 18 à 25 ans sur deux ne trouve pas d’emploi et voit se fermer les portes d’accès à une vie digne, la révolte point. Et le risque de déstabilisation s’accroît. Les partis au pouvoir l’ont appris à leurs dépens qui, en Italie, Grèce, Espagne, Portugal et jusqu’en France, ont été balayés. Seulement voilà , l’espoir de voir se desserrer l’étau de l’austérité s’est rapidement évaporé. Regagner la confiance, c’est d’abord trouver les voies et moyens de l’intégration de la jeunesse dans le monde de l’emploi. Ce chantier-là , le Maroc s’y trouve également confronté. N’est-ce pas la vice-présidente de la Banque mondiale qui vient de mettre en garde le Maroc contre un chômage qui toucherait 30% des jeunes de 15 à 29 ans ? La trop célèbre « résilience » de l’économie marocaine a depuis longtemps volé en éclats. On peut plaindre nos voisins européens. Sans doute serait-il plus utile de se mobiliser pour enrayer, tant qu’il est encore temps, la lente dérive de notre propre imprévoyance.
actuel |