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Choisir son camp 
actuel n°160, jeudi 20 septembre 2012
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Que s’est-il vraiment passé à Oued Cherrat ce week-end ? Les responsables du restaurant sont injoignables et la gendarmerie est une grande muette. Mais les clients eux sont plus diserts, et les témoignages sans équivoque. Des gendarmes sont venus contrôler la nationalité des clients qui consommaient de l’alcool.


Pour une raison qu’on ignore encore, on a voulu intimider des Marocains amateurs de rosés locaux... et donc hors la loi puisqu’un dahir de juillet 1967 précise qu’il « est interdit à tout exploitant [...] de vendre ou d’offrir gratuitement des boissons alcooliques à des Marocains musulmans ». Nous savons tous que cette loi n’est pas appliquée. Mais jusqu’à quand ? Récemment un épicier du centre-ville de Casablanca – et son apprenti – a écopé d’une peine de prison parce qu’un de ses clients a participé à une bagarre mortelle. Arrêté, le poivrot avait « dénoncé » l’épicier comme son fournisseur d’alcool...

La loi nous interdit également les relations sexuelles si on n’est pas passé devant l’adoul. Mais chaque jour, rappelle Aïcha Ech-Chenna (voir page 50), une centaine d’enfants naissent hors mariage. Et un quart d’entre eux sont abandonnés dans la rue... quand ils ne sont pas jetés dans une poubelle.

Au Maroc, la loi nous interdit beaucoup de choses. Et la société nous en interdit d’autres. Mais on sait composer avec la réalité. La réglementation sur l’exportation de devises est très stricte. Mais nombreux sont nos compatriotes à posséder un compte à l’étranger abondement fourni. Ce n’est pas très patriote de la part de nos happy few... Mais qui fait tourner l’économie ? Il faut parfois lâcher du lest pour permettre à une société de prospérer.

Si les lois les plus rétrogrades étaient appliquées dans toute leur rigueur, on provoquerait des catastrophes économiques et des drames sociaux. Les 300 000 hectolitres de vins consommés dans le Royaume sont bus localement à 85%. Appliquer la loi, c’est supprimer cette filière. Pour la remplacer par l’eau minérale ? Dans les quartiers populaires halal de Casablanca, le karkoubi a remplacé le gros rouge avec les effets que l’on sait...

Il faut choisir son camp. Quand les lois sont stupides, il faut les abolir. Mais il faut aussi être réaliste. Car la société est incapable d’accepter ces réformes. Nous vivons dans un pays où, dans les sondages, neuf Marocains sur dix sont pour l’interdiction de l’alcool et contre les relations sexuelles hors mariage. Ce qui ne les empêche pas de pratiquer l’un et l’autre. Car « c’est une affaire entre Dieu et nous ». Cette tolérance tacite, ce deal entre nos convictions et nos pratiques n’est pas seulement le reflet de notre supposée schizophrénie. C’est aussi le fondement d’une société pragmatique et finalement sereine dont nous pouvons être fiers au regard de ce qui se passe chez nos voisins...

Remettre en cause cet équilibre, c’est nous détacher du siècle et nous isoler du monde. Il faut au contraire accompagner la société en favorisant une maturation des mentalités. Nous ne sommes pas obligés d’aller plus vite que la machine : l’Occident a mis deux siècles avant de reconnaître le statut des mères célibataires. Mais de là à revenir en arrière.... L’affaire de Oued Cherrat est à cet égard inquiétante. Elle intervient après la prohibition de la vente d’alcool aux étrangers pendant le Ramadan. Elle est un symptôme de cette politique de la charia à petits pas qu’on voudrait nous imposer subrepticement. Le Maroc n’a pas succombé à l’hystérie qui s’est emparée du monde arabo-musulman ces derniers jours. Mais d’autres dangers insidieux nous menacent. Oui, il faut choisir son camp et ne pas baisser la garde.

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