La prise de contrôle de Bimo par l’américain Kraft Foods, après celles de Lesieur par Sofiproteol et de Centrale Laitière par Danone, ne manque pas de poser la question de l’avenir d’un capitalisme marocain qui voit ainsi quelques-uns de ses plus beaux fleurons battre progressivement pavillon étranger.
Certes, la réputation des grands groupes mondiaux, champions de la recherche et développement et du marketing, implantés sur la quasi-totalité des grands marchés de consommation, n’est plus à faire. Et l’intégration des entreprises marocaines au cœur de la mondialisation présente bien des atouts. Il n’empêche, s’agissant de Bimo, le ticket d’entrée pour une prise de contrôle était-il si insurmontable que cela pour des investisseurs marocains soucieux de conserver ce fleuron de notre industrie sous pavillon national ? L’industrie marocaine n’aurait-elle vocation à ne s’offrir ainsi qu’aux seuls groupes mondiaux ? A ce rythme-là , le capitalisme marocain sera bientôt réduit à sa plus simple expression, celle de secteurs comme la franchise, l’immobilier ou le tourisme. Mais avec quelle valeur ajoutée ?
Il est piquant d’observer que certains grands investisseurs de la place – qui, il y a peu, décriaient mezzo voce la présence de la holding royale SNI dans les affaires au prétexte qu’elle leur ferait de l’ombre et fausserait la concurrence – se réfugient aujourd’hui dans une étonnante abstention. Faut-il en conclure qu’il ne se trouverait au Maroc aucun industriel, aucun investisseur ou fonds d’investissement pour regarder d’un peu plus près une opportunité comme celle de Bimo ? Ce qui est bon pour Kraft Foods ne le serait donc pas pour nos capitaines d’industrie ?
Dans son dernier post sur son blog (mhe-online.com), Moulay Hafid Elalamy en appelle à multiplier les « entreprises locomotives » pour contrer la crise. « Les entreprises locomotives, écrit-il, constituent indéniablement la pierre angulaire de l’économie sectorielle et ce, par la taille de leurs investissements, du nombre d’emplois qu’elles génèrent et des effets bénéfiques qu’elles peuvent avoir sur les PME et sur la régulation sectorielle. Et de poursuivre : Aujourd’hui, nos entreprises locomotives doivent relever le double défi de la compétitivité et de l’international. »
Le président du groupe Saham apparaît toutefois étrangement isolé. Nombre de ses pairs semblent ainsi s’être réfugiés dans un attentisme récurrent depuis le printemps 2011, témoignant d’un étonnant relâchement généralisé. Est-ce vraiment là un comportement de nature à contrecarrer la récession annoncée ?
La cession de Bimo à Kraft Foods est à saluer pour ce qu’elle est. Le respect d’un engagement pris par SNI au lendemain de la fusion avec ONA. Une opération de cession assortie d’un double succès, industriel et financier. Et la promesse d’un déploiement sous l’aile bienveillante d’un leader de l’agroalimentaire. Elle n’en interpelle pas moins sur la frilosité d’un capitalisme marocain, cantonné dans un coupable court-termisme. A trop attendre de l’Etat et de ses relais, notre économie et notre tissu industriel donnent le sentiment de se déliter dans une quasi-indifférence. Qui sonnera l’heure de la mobilisation ?
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