Un bon paquet de dossiers en instance, des parapheurs qui s’accumulent sur les bureaux, des piles de documents qui s’ajoutent les unes aux autres. Ces informations inquiétantes qui remontent de la plupart des administrations traduisent l’existence d’une grève du zèle patente de nos plus ou moins grands commis de l’Etat.
Ramadan et farniente obligent, ces réalités ne sont pas pour l’instant du domaine public, mais cela ne saurait tarder. L’exemple le plus marquant est peut-être celui du ministère de Lahcen Daoudi où les directeurs et autres chefs de service ont entamé une grève du zèle illimitée depuis que le ministre de l’Enseignement supérieur a décidé de traquer « tous les ripoux » de ce département. Des accusations à l’emporte-pièce aux descentes surprises en passant par des interrogatoires musclés, Daoudi a fini par inquiéter la plupart de ses chefs de services qui ont levé le pied. « Plus personne ne prend d’initiative », explique un haut cadre. Quant à ce que ses fonctionnaires s’adaptent à la politique et aux objectifs du gouvernement, il s’agit là d’une autre paire de manches. Cette «purge», annoncée à grand coup de manchettes dans les journaux, n’a rien changé au quotidien de ce département, mais elle a par contre accentué le sentiment de déréliction qui semble animer, depuis bien longtemps, les cadres les plus besogneux et les plus honnêtes de cette administration. Et ce, en contradiction flagrante avec les déclarations tonitruantes du chef du gouvernement qui répète à l’envi que la chasse aux sorcières n’est pas à l’ordre du jour.
N’en déplaise aux islamistes, ce sont bien ces fonctionnaires, dont certains, voire beaucoup, sont convaincus de corruption, qui font marcher la machine. Le PJD ou encore le parti «des instituteurs» comme le surnomme ses détracteurs n’a aucune expérience de la gestion de la chose publique. Les Marocains n’ont d’ailleurs pas mis trop de temps à se rendre compte que ces responsables manquaient cruellement de compétence et d’expérience pour diriger un pays qui traverse la crise la plus grave de son histoire depuis l’indépendance. Dès leur nomination, Benkirane et son équipe ont fait preuve d’un empressement étonnant à aligner les signes de ce manque d’expérience. Ce gros handicap aurait dû pousser les ministres au gouvernement à plus d’égard envers ces travailleurs de l’ombre qui ne méritent assurément pas tous d’être stigmatisés. Après les walis et autres gouverneurs accusés nommément par les pjidistes d’être des suppôts du Makhzen chargés de remplir des missions partisanes, les islamistes se payent les hauts fonctionnaires de l’administration. A-t-on besoin de commis prêts à servir l’État ou de bureaucrates prompts à servir les desseins du PJD ?
De toutes les façons, on ne dépouille pas impunément des agents de l’Etat de leurs prérogatives souveraines sans s’exposer au risque que vienne le jour où ceux-là décident de bloquer carrément la machine. Sachant que la rentrée politique qui s’annonce est également une rentrée administrative, que les dossiers en instance devront être soldés, que les chantiers suspendus devront être relancés et les programmes mis en application. Qui va accomplir ces indispensables tâches qui permettent aux services de l’Etat d’être réellement au service de la population ? Même s’ils ne veulent pas le reconnaître, les islamistes semblent effarés par l’immensité de la mission que les Marocains leur ont confiée. Benkirane crie à qui veut l’entendre que non, et que le PJD n’entend pas se dérober à ses responsabilités. Soit. Mais à quel prix ?
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