M’Hamed Douiri, nonagénaire. M’Hamed Boucetta, idem. Abdelkrim Ghallab, encore plus âgé. Ah, au centre, un petit jeunot : Abbas El Fassi qui aligne tout juste 72 ans ! Belle photo de famille que celle des dirigeants de l’Istiqlal… Il est vrai que certains de ces caciques sont de hauts responsables de cette formation depuis plus de soixante ans ! Le maintien de ces indéboulonnables « vieux » routiers de la politique marocaine n’est pas sans rappeler les mœurs staliniennes au sein du politburo soviétique. Chaque année, on sortait des tiroirs la même photo officielle de Staline, en prenant juste le soin de gommer ceux qui étaient tombés entre-temps en disgrâce.
A l’Istiqlal, les vieux ténors n’ont aucun souci à se faire. La relève est là . Les enfants El Fassi, ce « sang neuf » fait maison, sont appelés à maintenir la lignée, puisqu’il n’est toujours pas question de laisser éclore de nouveaux talents politiques ou de favoriser le renouvellement des élites. Dans ce parti, la rapidité de l’ascenseur politique est étroitement liée aux liens de consanguinité. On y est très souvent dirigeant de père en fils. On grimpe facilement dans la hiérarchie du parti ou on devient ministre grâce à la solidité des liens familiaux avec les barons du bureau politique. Gravir les échelons est la conséquence plus ou moins directe d’un mariage contracté avec le clan El Fassi. Le cas Abdelwahed El Fassi n’est qu’un exemple parmi d’autres. L’homme, qui est crédité d’une honnêteté à toute épreuve, n’a d’autre mérite que celui d’être le propre fils de Si Allal, sans oublier ses autres connexions familiales avec les dirigeants du parti. Comment l’Istiqlal a-t-il réussi à faire de la « gérontocratie » et du « népotisme » le modus vivendi du parti ? Dès le départ, cette formation a été conçue comme une formidable écurie partisane, au seul service de la famille El Fassi. Depuis toujours, les militants qui s’inscrivent au parti de Si Allal sont invités à faire serment sur le Coran qu’ils resteront fidèles au parti et à son fondateur. Cette formation fonctionne comme une secte, où le secrétaire général n’a aucune chance s’il n’a pas hérité de la baraka des anciens. Le moment venu, il passera le témoin à un héritier qui aura, lui aussi, la bénédiction de la gérontocratie. Ainsi l’Istiqlal apparaît-il comme un concentré de tout ce que la pratique politique dans ce pays a pu engendrer de nuisible au bon fonctionnement de la démocratie. Un parti gangréné par le corporatisme, une formidable machine à broyer les espérances. Un délitement qui est toutefois loin d’être propre à l’Istiqlal. A gauche, les mêmes causes génèrent les mêmes effets, et le parti de Ben Barka n’est pas le dernier à avoir pris le pli en évoluant petit à petit d’une formation progressiste vers un clan d’apparatchiks où le corporatisme et l’immobilisme sont rois. Dans les autres formations politiques, exception faite de l’extrême gauche et des islamistes du PJD, les forces de l’inertie s’accrochent toujours au pouvoir, tuant dans l’œuf toute tentative de renouvellement des élites. L’élan réformiste et le volontarisme d’un Chabat ne convainquent pas grand monde, mais il reste primordial de soutenir toute initiative censée libérer ce parti de l’emprise des « notables de la politique ». La politique n’use que si l’on s’en sert abusivement, et lorsque l’on a trop d’années de mandat derrière soi, on est forcément dépassé. Certes, la jeunesse n’est pas en soi une vertu, mais dès lors que l’on vient de changer de Constitution, avec les pressions de la rue arabe, la nécessité de rester en phase avec ces bouillonnements devrait imposer un rajeunissement, voire un salutaire saut de génération. La survie de l’Istiqlal, qui reste malgré tout un grand parti ne manquant pas de talents, demeure primordiale pour l’avenir de ce pays.
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