Un vent mauvais souffle sur le Maroc. Vendredi, un cheikh énervé rassemblant des millions d’adeptes sur YouTube appelle au meurtre d’un journaliste qui défend les libertés individuelles, et d’abord celle de s’aimer. Quelques jours plus tard, la militante des droits de l’homme Betty Lachgar reçoit des menaces de mort, et ce n’est pas la première fois. Pendant ce temps, l’AMDH croule sous les insultes... Passé les bornes, il n’y a plus de limites.
Mais le plus inquiétant n’est peut-être pas tant la violence des anathèmes des partisans de l’intolérance. Les réactions négatives aux déclarations de Mokhtar Larhzioui font aussi froid dans le dos. Sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux qui s’acharnent, par principe, contre les positions du journaliste, au lieu de défendre, par principe, la liberté de penser qu’il revendique. On entend comme un refrain lancinant ce même discours contre « les illuminés à l’européenne » qui veulent imposer leur point de vue à tous les Marocains. Les « illuminés » n’ont jamais dit ça. Ils demandent simplement qu’on laisse vivre les gens comme ils l’entendent et surtout sans être hors la loi.
Il y a derrière ces harangues la crainte d’une fitna généralisée autour d’un sujet tabou. Chaque initiative des partisans des libertés individuelles (et donc sexuelles, car si le sexe n’appartient pas à l’individu, à qui appartient-il ? A la collectivité ? A des cheikhs autodidactes au bord de la crise de nerfs ?) est accusée d’être une provocation. Et pas un appel au débat. On ne manque pas de bonnes âmes pour s’offusquer d’un rassemblement de femmes en débardeur, ce samedi place de la Ligue arabe à Casablanca pour la défense des libertés. Ils sont bien moins nombreux à s’indigner du sort de la jeune fille frappée et déshabillée pour avoir circulé en débardeur, il y a quelques semaines à Rabat, affaire qui est à l’origine du rassemblement.
On a beau jeu de renvoyer laïcs et islamistes dos à dos. Mais jusqu’à preuve du contraire, pas un seul de ces « illuminés à l’européenne » n’a appelé à commettre des violences contre ceux qui ne pensent pas comme eux. La réaction rapide de la justice à l’encontre du cheikh Nahari, désormais poursuivi pour incitation à la violence, constitue un signal fort. Car c’est maintenant qu’il faut combattre ces dérives avant qu’elles ne gangrènent une société si prompte à y adhérer. Le succès, encore virtuel certes, de Nahari – et les nombreux soutiens dont il bénéficie – est un symptôme inquiétant. Face à cette radicalisation d’une frange du pays, on peut relativiser notre sort en comparant la quiétude marocaine à la violence des salafistes tunisiens. Nous ne sommes pas non plus le Mali et ce n’est pas a priori demain la veille que des fous de Dieu viendront détruire Sidi Abderrahmane. Sauf que Tombouctou était aussi un havre de paix baigné de soufisme tolérant avant l’arrivée d’Aqmi et de Ansar Dine. Sauf qu’il y a aussi des Marocains parmi ces talibans...
Pour ne pas en arriver là , il ne faut pas céder un pouce de terrain à ces ignorants qui ne nous ignoreront pas le moment venu. L’Etat a trop toléré les idées obscurantistes, aux antipodes de nos valeurs religieuses, qui circulent aussi bien dans l’enseignement qu’au cœur de certains programmes télévisés. Il ne faut plus tolérer les intolérants.
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