La prise de contrôle de Centrale Laitière par Danone, qui en détiendra désormais 67% avec l’acquisition d’un bloc d’actions auprès de SNI pour un montant de quelque six milliards de dirhams, a immédiatement suscité une abondance de commentaires, dont certains pour le moins polémiques.
Voici donc une grande entreprise marocaine, détenant une solide part de marché dans le secteur des produits frais, détentrice d’un important réseau de collecte de lait – matière première précieuse – et de distribution, soudain devenue la proie d’un groupe étranger, qui plus est français. Un groupe soupçonné d’avoir pour seul objectif de faire remonter année après année un maximum de dividendes au détriment de l’investissement local, détruisant ainsi au passage notre propre monnaie, sans que le développement de notre pays y trouve le moindre intérêt. Bref, un investissement enveloppé d’un léger parfum de néocolonialisme…
Un tel raisonnement, exprimé à chaud, et assez communément partagé par une opinion publique sensible à la marocanité de l’économie, témoigne cependant d’une singulière méconnaissance de la vie des entreprises, marocaines ou non, et notamment des plus importantes d’entre elles qui ont fait du monde leur terrain d’action. Il prend également le contre-pied de l’ouverture du Royaume – souhaitée par toutes les composantes politiques ou économiques de ce pays – au monde extérieur.
Si Danone est bel et bien un groupe « français », c’est avant tout le numéro un mondial des produits laitiers, présent sur tous les continents. L’un des groupes les plus innovants grâce à la puissance de ses centres de R&D, et les plus créatifs en matière de stratégie marketing et commercial. Faut-il rappeler les liens étroits qui – au-delà des 29,2% de participation au capital – unissent Danone à Centrale Laitière depuis bientôt 60 ans ?
Dénoncer la montée en puissance de Danone au sein de Centrale Laitière, c’est, pour être cohérent, interdire demain à Saham Finances, à Attijariwafa bank, à BMCE Bank, à Akwa Group et à toute autre entreprise marocaine de se déployer à l’international – et particulièrement en Afrique – pour aller y rechercher de nouveaux relais de croissance. S’indigner de la prise de contrôle de Centrale Laitière par Danone, au nom d’un nationalisme industriel particulièrement anachronique et anti-économique, c’est ignorer que le développement du groupe marocain s’est construit depuis de longues années sur l’étroite coopération des équipes des deux entreprises, dans une relation win-win. Développement qui a permis à notre fleuron des produits laitiers de prendre de solides parts de marché grâce aux compétences partagées dans des domaines aussi cruciaux que le marketing ou le commercial. Cette dynamique est aujourd’hui, selon le deal passé entre les deux partenaires, appelée à se renforcer. Pour Danone, qui voit ces temps-ci le marché espagnol se fragiliser en raison de la baisse de consommation et la montée en puissance du hard-discount, l’opération conforte ses positions en Afrique du Nord. Avec le Maghreb et l’Egypte, le groupe – dont la part du chiffre d’affaires est passée en quinze ans de 16% à plus de 50% dans les pays émergents – s’apprête à y réaliser un milliard d’euros de chiffre d’affaires, dont 900 millions dans les seuls produits laitiers frais. Mais avec la prise de contrôle de Centrale Laitière c’est, comme le reconnaît Franck Riboud, l’Afrique qui devient la « nouvelle frontière » du numéro un mondial. Une ambition qui ne peut que servir les intérêts de Centrale Laitière. Et, au final, participer au développement économique du Royaume tant sur le plan de l’investissement que de l’emploi sur l’ensemble de la filière.
Mais, plus encore, dans une conjoncture économique mondiale délicate, au sein d’un monde arabe en quête de stabilité et de retour à la croissance, la gestion des dossiers Lesieur Cristal ou Centrale Laitière tout comme les investissements majeurs de Renault à Tanger constituent une singulière victoire pour le Maroc qui fait là la preuve de la pertinence de ses choix économiques et politiques.
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