Au rythme où vont les choses, il n’y aura bientôt plus que les indéfectibles adeptes de la bicyclette qui s’abstiendront d’aller manifester devant la Primature ou le Parlement contre l’augmentation du prix des carburants. Hasard de circonstances, c’est au moment même où Solar Impulse – cet incroyable avion solaire qui repousse les limites de la science et de la technologie à chacun de ses vols – atterrissait sur le tarmac de l’aéroport de Rabat-Salé, que le Maroc s’enflammait à propos d’une hausse du prix des carburants aussi violente que dangereuse.
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Que l’on ne se méprenne pas. Abdelilah Benkirane fait montre d’un courage certain en décidant de mettre un terme à la dérive maintes fois dénoncée, jamais encadrée, de la Caisse de compensation. La décision de porter les prix du carburant à un niveau autorisant une économie de quelque dix milliards de dirhams par an devait être prise. Sauf à entraîner les finances de l’Etat droit dans le mur, et en klaxonnant ! Nul n’ignore le diagnostic porté depuis des années sur cette machine infernale qu’est devenue la Caisse de compensation, sans qu’aucun des gouvernements précédents n’ait eu le courage d’y porter remède. La procrastination ambiante sous le gouvernement de Abbas El Fassi sur ce dossier majeur qui impacte l’économie nationale a conduit le pays dans une impasse. Il était temps de faire demi-tour.
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On observera toutefois que le demi-tour effectué par Benkirane a été réalisé selon une stratégie longuement éprouvée par les chauffeurs de taxi, ceux-là mêmes qui menacent aujourd’hui de faire grève. Car, au lieu de commencer par ralentir, de mettre son clignotant tout en s’assurant – en regardant dans son rétroviseur – qu’il n’y avait pas de voitures derrière lui, l’actuel pilote de l’équipe gouvernementale a brutalement donné, sans prévenir le moindre passager, un coup de volant à gauche pour effectuer un demi-tour sur les chapeaux de roue et tenter de rétablir son véhicule au milieu d’automobilistes et transporteurs affolés.
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Il est en effet assez singulier de voir Benkirane s’affranchir de la Constitution aussi aisément que les taxis du code de la route. Nul ne contestera sérieusement au chef du gouvernement l’impérieuse nécessité dans laquelle il se trouvait de procéder à l’augmentation du carburant, et de s’engager sur la voie de la réforme de la Caisse de compensation. On était toutefois en droit d’attendre de la part de l’apôtre de la « bonne gouvernance » un peu plus d’habileté politique pour préparer le terrain avec l’ensemble des acteurs concernés. Abdelilah Hifdi, le président de la Fédération du transport à la CGEM, parle d’or chez nos confrères des Echos lorsqu’il dénonce l’absence de toute concertation préalable et renvoie Benkirane et consorts à l’article 12 de la Constitution. Hifdi n’a rien d’un syndicaliste agité. C’est simplement l’un des meilleurs connaisseurs des problématiques de transports qui s’efforce de prôner l’élaboration d’une véritable politique des transports qui fait tant défaut à la compétitivité des professionnels marocains.
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La question aurait pu être posée lors du grand oral de Benkirane, mardi dernier, devant la Chambre des conseillers. Las, le débat a tourné court, pour de sombres questions organisationnelles, privant ainsi le chef du gouvernement de son droit « de (m)’adresser au peuple marocain ». Trois coups de fil plus tard à la direction de 2M, Benkirane s’invitait mercredi en soirée pour un magnifique monologue sur un plateau de télévision. Une soirée entre amis, avec petits fours et bons mots, loin des tumultes de la Chambre des conseillers. A défaut de s’expliquer devant les parlementaires, prenant l’opinion directement à témoin, Benkirane a tenté de justifier sa méthode. Mais en omettant d’expliquer quand et comment son gouvernement allait mettre en place les mesures destinées à pallier les hausses de prix auxquelles la population va devoir faire face. Un oubli, sans doute…
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