Dire ce que je fais. Faire ce que je dis. Ce devrait être la devise de tout homme politique qui se respecte. Une devise facile à honorer dans l’opposition. Et qu’on oublie dès l’accession au pouvoir. On se réfugie derrière les compromis, la conjoncture ou la raison d’Etat. On fait des effets de manche avant de jeter l’éponge... Et avec notre nouveau gouvernement, on a en prime l’option victimisation.
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Nous ne nous sommes pas privés de souligner l’inaction ou les dérives de l’équipe Benkirane depuis son accession aux affaires. On nous reproche d’ailleurs notre supposé parti-pris. Pourtant, nous n’avons pas d’œillères. Si un ministre fait le job pour lequel il a été choisi, il faut le souligner. Si en plus, il explique comment il procède, il faut le rencontrer.
Quelques mois avant les élections, Lahcen Daoudi, alors simple député PJD, nous avait déclaré que si, parvenu au pouvoir, il ne respectait pas ses promesses, il fallait lui jeter des tomates ! On ne lui en jettera pas de sitôt. L’interview que le désormais ministre de l’Enseignement supérieur nous a accordée dans ce numéro se démarque de dizaines d’années de langue de bois et de faux semblants. Il détourne la célèbre formule « un ministre, ça démissionne ou ça ferme sa gueule » pour affirmer : « Fini le temps où le ministre pouvait se cacher derrière ceux qui ne veulent pas que les réformes aboutissent. Un ministre a les pleins pouvoirs et est totalement responsable. S’il ne peut pas le faire, il n’a qu’à démissionner. »
Alors, Daoudi dit ce qu’il fait en attendant de faire ce qu’il dit. Il nous raconte son effarement devant la gabegie, la corruption, les fraudes, la prolifération des diplômes bidon, l’état d’un enseignement supérieur qui marche sur la tête... et il s’engage à agir. Il ne promet pas de miracles mais projette des actions pragmatiques comme de délocaliser de grandes écoles internationales au Maroc. Pas besoin de se réfugier derrière des référentiels islamiques pour appliquer des mesures de bon sens.
Dire ce que je fais. Faire ce que je dis. Tout le PJD n’a pas la même devise. Les 14 députés islamistes qui ont déposé un projet de loi pour interdire la publicité pour l’alcool semblent oublier qu’ils n’ont pas été élus sur ce programme. Au contraire, à l’issue du scrutin, Mustapha El Khalfi nous avait déclaré que s’agissant de l’alcool, « nous avons un modèle. Et ce modèle, c’est la France. Ce pays a su mettre en place une stratégie globale, incluant les abus – qui sont réprimés –, les questions de santé publique, les questions sanitaires, les dangers à l’égard des jeunes, les questions de sécurité routière… » Bref, il s’agissait de mettre en œuvre une vraie politique de santé publique. En France, la loi n’interdit pas la publicité. Elle la réglemente pour qu’elle n’associe pas alcool et plaisir. Nuance. A l’heure où le Maroc ne parvient pas à respecter ses engagements avec le FMI, alors que la réforme du système de compensation et des retraites est au point mort, au moment où la rue recommence à gronder, nos élus n’ont rien de mieux à faire que de pondre un texte idéologique que personne ne réclame, et qui aura pour principale conséquence d’asphyxier les titres de presse sans faire baisser d’une goutte la consommation de Flag Spéciale et de Stork.
Comme s’il fallait, après le camouflet du cahier des charges, que le PJD marque son territoire et piège ses adversaires (et ses alliés) sur un terrain miné où ils n’oseront vraisemblablement pas répliquer. Car il y a une autre devise qu’on respecte, hélas, au pied de la lettre chez nous : dire ce que je fais, mais ne pas faire ce que je pense...
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