En installant, en ce début de semaine, la toute nouvelle « Haute Instance du dialogue national sur la réforme de la Justice » (HIDNRJ), le roi ne prend pas seulement une initiative de nature à marquer une nouvelle étape de son règne, il offre aussi ipso facto au nouveau gouvernement issu des urnes, une éminente opportunité pour apparaître, demain, comme le gouvernement qui aura (ou non) réussi LA réforme tant attendue. Cette réforme de la Justice sur laquelle maints gouvernements et autant de ministres de la Justice, depuis de longues années, se sont cassé les dents. Dans son discours du 20 août 2009, Mohammed VI avait déjà longuement sollicité les responsables politiques à s’engager sur la voie de la réforme. En réunissant les représentants des plus hautes instances judiciaires, des organisations professionnelles les plus représentatives, aux côtés des acteurs et experts de la société civile, le roi prend clairement la main sur une indispensable réforme jusqu’ici restée lettre morte. Certes, quelques avancées ont pu être opérées, et notamment par Mohamed Taieb Naciri lors de son rapide passage au gouvernement de Abbas El Fassi. Mais de peu de poids au regard des graves dysfonctionnements et des lacunes qui font le quotidien des professionnels, ces véritables acteurs d’un Etat de droit, et qui nourrissent le ressentiment de l’opinion publique à l’égard d’une institution qui n’inspire plus guère le respect.
Une justice qui n’est pas respectée ouvre la voie aux comportements les plus erratiques, en marge d’une légalité qui pourtant s’impose à tous. Et lorsque c’est l’Etat lui-même et certains de ses représentants qui s’affranchissent du respect dû à la loi, l’opinion est en droit de se poser la question du degré de confiance à (ne plus) leur accorder. De ce point de vue, la « jurisprudence » ne manque pas d’exemples qui gangrènent toute la filière de la Justice – d’enquêtes étouffées, de procédures bâclées, d’arrestations arbitraires, de défenses bafouées, de condamnations expéditives… et maintiennent, de ce point de vue, notre pays en marge des nations démocratiques, sous le regard courroucé de nos principaux partenaires.
Le diagnostic a déjà maintes fois été posé. Il convient néanmoins de se féliciter de la création de cette Haute Instance qui, par sa composition, doit être à même, au terme de ses travaux d’ici à trois mois, de poser sereinement et sans concession les priorités et objectifs à atteindre, ainsi que les conditions de leur mise en œuvre. L’indépendance de la justice ne se décrète pas. N’a-t-elle pas été régulièrement revendiquée sans pour autant s’affirmer au bénéfice des justiciables ? L’indépendance de la justice se vit au quotidien à raison d’un cadre respectueux des institutions ; de professionnels formés, qualifiés et rémunérés à hauteur du rôle majeur qu’ils exercent au sein de la société ; d’une organisation judiciaire réellement indépendante du pouvoir législatif comme de l’exécutif. Dès lors, on mesure pour notre pays le chemin à parcourir. Et combien est grande la responsabilité de cette Haute Instance du dialogue national sur la réforme de la Justice. Car si elle devait échouer, c’en serait fini de tout espoir de voir enfin évoluer cette justice marocaine tant décriée. C’est dire si la responsabilité de ce gouvernement est ici engagée. S’il réussit ce challenge, dans une démarche non partisane et au seul service de l’intérêt général, il restera dans les annales gouvernementales comme celui qui aura permis à notre justice de jouer enfin pleinement son rôle, en toute indépendance. Si tel n’était pas le cas, cet échec signerait le terrible revers d’une formation qui a fait de cette réforme l’un des piliers majeurs de son engagement politique.
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