En 2007, le fils d’un immigré hongrois avait trouvé en Henri Guaino un scribe inspiré quand il s’exclamait : « Moi, Français de sang-mêlé, je ne me sens pas étranger à cette jeunesse des cités aux citoyens mélangés... » Cinq ans plus tard, un nouveau scénariste, Patrick Buisson, ancien directeur de la rédaction du journal d’extrême droite, Minute, est devenu l’inspirateur en chef d’une campagne de Nicolas Sarkozy où les messages plus ou moins subliminaux d’une invasion islamique programmée se disputent la bande passante des électeurs.
Lors du débat entre le président sortant et François Hollande, l’immigration n’a certes pas été au centre d’échanges gonflés à la testostérone où l’invective et l’émotion ont souvent pris le pas sur les idées. Mais alors qu’on évoquait le droit de vote des étrangers et que François Hollande soulignait que le Maroc l’avait prévu en cas de réciprocité, Nicolas Sarkozy ne s’est pas privé de faire le lien entre les origines et l’insécurité. « Les pays d’Afrique du Nord sont de confession musulmane, de l’autre côté de la Méditerranée. Les tensions communautaires, elles viennent de qui ? Elles viennent d’où ? » Cinq ans plus tard, « la jeunesse des cités aux citoyens mélangés » est devenue celle des horaires séparés dans les piscines et des menus halal dans les cantines.
Une campagne obsédée par les frontières, des références incessantes au communautarisme et un clip électoral indigne où un panneau de douane (écrit en arabe, en français et en catalan) illustre un discours ouvertement xénophobe, ont ponctué une dernière ligne droite... à droite de l’extrême-droite.
Pour autant ce « Français de sang-mêlé » est-il raciste ? Non, il est simplement opportuniste et même capable de boire un verre de vin pour rafler les voix des vignerons alors qu’il ne carbure qu’au jus d’orange. Sa « lepénisation » flagrante est d’abord la posture électoraliste d’un homme sans réelles convictions. Pourtant, Nicolas Sarkozy aime le Maroc quand il s’agit d’y vendre des TGV ou de passer des réveillons à Marrakech. Il ne dédaigne pas non plus lorgner vers l’électorat franco-marocain allant jusqu’à affirmer pendant la campagne que son idole sportive était Hicham El Guerrouj que le roi lui a fait rencontrer. Mais en déplaçant le curseur politique français vers les valeurs de l’extrême droite, le candidat-président a obligé son adversaire à durcir à son tour son discours. Pendant le débat, François Hollande ne s’est pas privé de souligner qu’il maintiendrait les centres de rétention, combattrait les menus halal et limiterait les immigrés économiques. Un glissement en rupture avec les positions habituelles des socialistes.
Quel que soit le résultat, cette campagne aura fait des dégâts et détérioré l’image de la France. Pour la restaurer, si François Hollande est élu, il aura intérêt à tenir quelques promesses de campagne, à commencer par la suppression de la circulaire Guéant qui transforme des ingénieurs marocains en travailleurs clandestins. Et à appliquer les propositions de ses soutiens qui veulent mettre en place un « passeport culturel et économique de la francophonie » (voir notre dossier page 24). La langue que nous avons adoptée et que l’on veut remettre en cause aujourd’hui dans le Royaume, ce n’est pas seulement une grammaire, c’est aussi le véhicule de valeurs de liberté et de tolérance devenues universelles. La langue dans laquelle nous nous exprimons et que nous aimons, c’est celle de Voltaire, de Victor Hugo ou d’Albert Camus, pas celle de Patrick Buisson.
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