D’une rive à l’autre, Kamal Hachkar est parti à la rencontre des « ouled l’blad » juifs. Son documentaire est un cri contre l’amnésie, un vaccin contre l’extrémisme.
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Il est à la bourre. Depuis la diffusion de son documentaire Les échos du Mellah, de Tinghir à Jérusalem, le téléphone de Kamal Hachkar ne cesse de sonner et les commentaires flatteurs de fuser sur son mur Facebook. Un peu paumé dans le Casablanca tentaculaire, l’enfant de Tinghir répond à toutes les questions avec un sourire permanent aux lèvres. L’accent de son arabe est encore assez français mais après quelques formules de politesse, il bascule vite vers le tachelhit pour les interlocuteurs qui maîtrisent cette langue qui le ramène vers son village natal, dans sa maison en pisé, dans ces vieux dédales reliques d’un âge révolu. « Tout est parti de l’idée qu’un autre avait été là et qu’il n’y était plus. Les textes de Edmond Amran El Maleh aidant, je me suis interrogé sur le fait de quitter sa terre », se remémore Kamal qui a trouvé dans l’histoire des juifs partis du Maroc vers un horizon inconnu, un écho à son propre passé. Né à Tinghir en 1977, il rejoint la France lors d’un regroupement familial à six mois à peine, mais garde des liens très forts avec ce village du Moyen Atlas puisqu’il y retourne tous les ans en vacances, la voiture de son père lestée de cadeaux pour les grands-parents, cousins, tantes et oncles.
« Ni complètement marocain, ni complètement français, j’étais une étrangeté mise de côté. J’avais une empathie pour ces gens réduits à tout quitter parce que l’histoire a fait d’eux, au bout d’un moment, une étrangeté qu’il fallait caser quelque part. A la différence près que, contrairement à moi qui ai toujours une maison où revenir, les juifs partis du Maroc ne peuvent y retourner qu’en touristes », rappelle Kamal. Le déracinement l’interpelle au cœur d’une crise identitaire qui le mène vers la recherche, les études. Kamal Hachkar devient professeur d’histoire. Le travail de mémoire et d’investigation retranscrit dans son documentaire aurait dû donner naissance à une thèse qu’il a entreprise dès son inscription en 3e cycle. Seulement voilà , les séminaires auxquels l’étudiant a assisté, les archives auxquelles il a eu accès, notamment à la très prestigieuse Fondation Spielberg à Jérusalem, n’auraient profité qu’à quelques rares spécialistes. Mais lui, c’est le grand public qui l’intéresse. D’où la réalisation d’un film documentaire sur cette histoire. Diffusé dimanche dernier par la chaîne de télévision 2M , celui-ci montre des gens comme nous mais vivant sur l’autre rive, comme l’a si bien dit un internaute.
Ce sont toutes ces familles qui gardent leur attachement au terroir, théières, costumes, portraits de Mohammed V et dialectes à l’appui, que Kamal Hachkar est parti rencontrer.
Son docu-mémoire, de par sa simplicité et son objectivité, vous déleste de toute tentative de rancœur envers ces personnes qui ont servi de monnaie d’échange entre le gouvernement de l’époque et le mouvement sioniste, regagnant le Pays De Lait et de Miel et tous les rêves qui vont avec…
« Casser les préjugés gangrénant les deux côtés, reconnaître notre histoire et ses vicissitudes comme ces photos de jeunes filles juives converties à l’islam par le panarabisme ambiant, mais aussi mettre en exergue ces périodes magnifiques de symbiose judéo-musulmane, qui ont donné naissance à l’art de Sami Elmaghribi, de Zohra Elfassia pour ne citer qu’eux, ont été mon leitmotiv durant tout le temps requis pour la réalisation de ce documentaire », explique le cinéaste. Cette première œuvre, véritable leçon d’amour et de paix, a eu un tel effet qu’elle fera voyager Kamal Hachkar d’un festival à l’autre, d’Agadir à Los Angeles, en passant par Montréal ou encore San Francisco.
Mais le natif de Tinghir veut se rendre dans les coins les plus reculés du Royaume à la rencontre d’élèves. Pour que plus jamais l’on n’entende la phrase indigne : « Yhoudi hachak » (juif sauf votre respect).
Asmaâ Chaïdi Bahraoui
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