Cofondatrice du Mali, figure du 20-Février régulièrement sollicitée par les médias étrangers, psy et militante, Ibtissame Betty Lachgar est en révolution permanente.
C’était pendant le réveillon. En rentrant d’un dîner à Rabat, Betty se fait molester avec une amie par quelques abrutis qui les traitent de putes. Elles veulent porter plainte, mais... « Arrivé au commissariat, les flics m’ont poussé et m’ont dit : "Que faisais-tu dehors après minuit ? Ta place est à la maison". ».
Le sang de Betty n’a fait qu’un tour : « J’ai fait ma féministe. Mais comme on avait bu, ils ont voulu nous coller "ivresse sur la voix publique". » "On est dans un pays musulman", m’a dit le flic. J’ai répliqué qu’il n’avait qu’à le dire au roi. On m’a même menacé de mettre "prostitution sur le PV". Avec une autre intimidation : "Tu fais partie du M20, tu ouvres trop ta gueule toi !" » Résultat : une nuit au poste. Ainsi commença 2012 pour Ibtissame Betty Lachgar.
Ses copines l’appellent « Révolution », c’est dire. Elle est intransigeante, passionnée, radicale et avoue elle-même qu’elle a un caractère de chien. Mais elle n’a peur de rien Betty. Elle tient tête aux flics dans les commissariats comme aux barbus dans les AG du 20-Février. A 36 ans, elle a la rage d’une gamine de 20 ans et le look d’une ado rebelle. Mais derrière cette panoplie de parfaite militante et ses discours laïques et féministes rodés, se cache une personnalité attachante et complexe dont l’histoire éclaire les actes.
Betty, qui s’est rebaptisée ainsi à Montréal auprès de Canadiens qui n’arrivaient pas à prononcer Ibtissame, est née une seconde fois, il y a 16 ans. Elle a alors vécu une épreuve que seuls ses proches connaissent : « J’ai eu un cancer à 20 ans. C’était le coup de massue. J’étais seul en France. J’ai connu la souffrance physique et morale, la chimio, les rayons... Mais dans ce combat contre le crabe, j’étais sûre de vaincre. » Un médecin lui explique, statistiques à l’appui, qu’à son âge, elle va développer des métastases. Réplique de Betty : « Je vous prouverai que la science a tort. »
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La victoire est au bout de l’effort
Elle a gagné le combat et depuis elle n’a plus peur de rien. Ni des insultes ni des menaces qu’elle collectionne depuis qu’elle a cofondé le Mali et tenté de pique-niquer en plein ramadan. « On me trouve courageuse, mais on a moins peur quand on a frôlé la mort. » Elle ose tout dire, tout faire et s’agace de ses copains laïques qui deviennent timorés pour ne pas choquer l’immense majorité de musulmans. Elle affirme ne pas croire en Dieu... mais ne supporte pas non plus les « athégristes » : « C’est une catégorie qui devient une religion. » Betty est entière mais nuancée...
Déformation professionnelle ? Dans la vie civile, Betty la militante pour la liberté de conscience, la confectionneuse de slogans pour le 20-Février... est psychothérapeute et criminologue. Une vocation d’ado : « Je me posais plein de questions par rapport à la violence de l’être humain, comment certains passent à l’acte et d’autres pas alors qu’on est censé tous être nés pareils. » Cette volonté de comprendre influence sa vie de militante. « J’analyse souvent les situations d’un point de vue psy. Je me mets à la place de l’autre : pourquoi pense-t-il comme ça, pourquoi devient-il agressif ? »
Cette empathie surprend ses camarades du M20 quand elle va faire la bise aux chefs des baltajis de Rabat dans les manifs. « Cette passion pour le roi et ce patriotisme exacerbé qui engendre la haine et la violence, ça m’intéresse. »
Sur facebook, elle ira jusqu’à défendre Moulay Hassan que ses « amis » vilipendent quand il accepte les baisemains. Car c’est le petit prince qui est pour elle la victime de ses comportements, « en langage psy, c’est une maltraitance d’enfants ». Elle finit toujours par clouer le bec à ses détracteurs.
A peine énervée quand on lui dit qu’elle pense comme une Européenne : « Les gens avec qui je milite, et qui pensent comme moi, n’ont jamais été en Europe. » « Révolution » a réponse à tout et ne s’arrête jamais, quitte à poster ses indignations au cœur de la nuit sur facebook.
Et continue le combat, même pas désespérée d’être ultra-minoritaire dans son pays : « Les avant-gardistes finissent toujours par réussir. Ils deviennent des héros et on leur remet des prix. » Pas la peine de croire en Dieu pour avoir la foi.
Eric Le Braz |