Avec son œuvre, c’est toute la complexité du Maroc actuel que Jaouad Essounani se propose de mettre en lumière. Du théâtre empreint de réalisme.
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Jaouad Essounani est l’un des metteurs en scène les plus en vue du paysage artistique national. Avec sa troupe Dabateatr, il ne cesse de multiplier les « coups de théâtre ». Les pièces incisives qu’il met en scène ont aussi un caractère engagé qui les distingue de ce qui s’exprime ailleurs. Pourtant, notre homme refuse d’être catalogué comme un artiste engagé : « Je n’aime pas le qualificatif, mais vous êtes libre de me juger ainsi. »
Pour lui, l’engagement va de soi. « Quand on fait un métier, il faut s’engager. Et puis, quand on dit qu’un artiste est engagé, cela pourrait sous-entendre que les autres le sont moins, voire pas du tout », justifie-t-il. Cela ne l’empêche pas d’admettre que son œuvre a un caractère militant. Ou plutôt « activiste ». Et ce n’est pas forcément lié aux thématiques qu’il choisit. « On peut faire du mauvais théâtre avec de très bonnes thématiques », nuance-t-il.
Il dit n’avoir jamais choisi d’être militant, et ne le revendique pas aujourd’hui non plus. « C’est le contexte qui fait de nous des militants. Si je milite pour quelque chose ce sera, en un mot, la justice sociale. » Une revendication qu’il partage avec d’autres jeunes Marocains, y compris ceux du mouvement du 20-Février. « J’ai adhéré à ce mouvement, mais j’ai fini par le quitter en juin dernier. Parce que c’est devenu flou », confie-t-il.
Ce sera tout, Jaouad ne nous parlera pas davantage de politique. Enfin, pas comme le ferait un autre. Lui, il a un regard d’artiste. Son propos est teinté de subtilités et de métaphores. Suggestif même. Et c’est bien cela le propre de l’art.
Son baccalauréat en poche, il décide de découvrir le monde qui l’entoure. « J’ai passé deux ans à sillonner le Maroc en auto-stop, en compagnie d’un ami. Cela m’a beaucoup appris », raconte-t-il.
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Volontairement « incarcéré »
Ensuite, il intégrera l’Institut supérieur d’art dramatique et d’animation culturelle (ISADAC). Au terme de quatre ans de formation, il décroche son diplôme. « Au lieu de faire comme les autres et d’aller déposer mon CV partout, j’ai choisi l’inverse. Je me suis cloîtré chez moi pendant deux mois, dans une maison attenante au domicile familial. » Volontairement « incarcéré», il colle sur les murs de sa chambre des fiches relatant toute l’histoire du théâtre. Tout ce qu’il a étudié.
« J’avais ma réserve de cigarettes et d’alcool, je passais mon temps à réfléchir sur ce que j’allais faire. » Il cherche à déterminer dans quel genre de théâtre il va s’investir. Du folklorique au futuriste, il passe en revue tout ce qui s’est fait avant lui et se pose la question centrale : « Que pourrais-je apporter de nouveau ? » Il finit par trouver. Dans Dabateatr, le préfixe « daba » (qui signifie maintenant) en dit long sur Jaouad.
Un jeune en harmonie avec son époque. « J’ai choisi tout simplement d’être dans le présent. Il nous permet à la fois d’avoir un regard poétique et politique sur le passé et d’entrevoir le futur », philosophe-t-il. S’agissant de la question de l’identité, il estime que « notre identité est en nous. Il ne faut être ni diplomate ni méchant avec le passé…
Mes œuvres proposent surtout une vision du monde actuel ». Un monde qu’il découvre encore et qui lui apprend chaque jour quelque chose de nouveau. Son théâtre n’est pas que divertissement. C’est aussi un moyen d’éduquer les générations à venir et d’inculquer un certain savoir. « C’est un projet de société », assure Jaouad qui se considère comme « un producteur de culture ».
Quelle culture au juste ? « Un auteur a dit qu’on pouvait faire du théâtre de tout. Mais tout n’est pas théâtre. Moi, je dis qu’on peut faire de tout une culture et tout n’est pas culture. » En clair, notre homme croit à la diversité, et, bien entendu, à la liberté d’expression. « On nous laisse dire tout ce qu’on veut, ou presque, mais on ne nous donne pas d’espace pour l’exprimer. Nous sommes dans un système d’apparence. » Voilà son message. Libre à nous d’y réfléchir longuement.
Ali Hassan Eddehbi |