La valeur n’attend pas le nombre des années. Polyvalent, curieux et iconoclaste, ce jeune militant multicarte a de nombreuses passions qu’il sait partager.
A force de le lire et de le suivre sur les blogs et les réseaux sociaux, on finissait par croire que Soufiane Sbiti était un vieux de la vieille au style sûr et aux idées claires, un « digital native », certes, mais rompu aux polémiques et aux statuts qui tuent. Eh bien, on avait tout faux. C’est un teenager qui nous accueille à la gare de Rabat-Ville.
Le rédacteur en chef du très bon site d’infos culturelles Artisthick, blogeur, chroniqueur à Casseta, multinominé aux Maroc Web Awards, militant au PPS et à Capdema – ouf ! –, n’a pas encore passé son bac. Le 33e « nouvelle génération » d’actuel est aussi le plus jeune.
Mais à 19 ans, Soufiane Sbiti a une maturité rare et de l’ambition à revendre. Le lycéen blogueur de Témara veut devenir journaliste mais s’imagine déjà candidat à des élections. On l’imagine bien aussi ministre de la Culture en 2025.
Â
Dostoïevski, Baudelaire, Leftah et Laâbi
Car ce vingtfévrieriste intermittent se distingue de bon nombre de ses jeunes aînés, dévorés par le démon de la politique, grâce à une autre passion qu’il voue aux livres. Parmi ses auteurs favoris : Dostoïevski, Baudelaire et Leftah qu’il a découvert grâce à actuel et dont la censure le révulse. « On nous interdit notre patrimoine ! »
Sa prédilection va pour les auteurs qui s’expriment en français, une langue qu’il adore... ce qui ne fut pas toujours le cas. « Je baignais dans un profond mépris de la langue française », écrit-il sur son blog dans une lettre ouverte à son mentor, Abdellatif Laâbi.
La lecture des œuvres du prix Goncourt de la poésie changeront à jamais sa vision. Dans sa lettre ouverte, il demande à l’ancienne génération de venir soutenir la nouvelle : « Votre retour à la mère patrie est plus que souhaitable. Avec tous mes respects, j’oserais dire que le temps n’est pas à la dérobade, à l’éloignement et à l’exil. »
Laâbi n’est pas encore rentré au pays mais il a tenu à rencontrer le jeune blogueur : « Il m’a encouragé. Il a donné un rendez-vous à un lycéen qu’il ne connaissait pas. Il est à la fois modeste et exceptionnel. » Sbiti rejoint les positions de Laâbi sur la culture : « C’est une urgence au même niveau que les urgences économiques. »
Une urgence qui semble loin d’être une priorité du gouvernement où siège son parti : « Pour l’instant, j’ai honte du PPS. » Soufiane a boycotté les élections et honni la stratégie des néo-cocos : « Le PPS a raté une belle occasion de se démarquer avec le 20-Février. »
Alors pourquoi ne pas militer au PSU qui correspond à ses idées ? On ne saura pas vraiment. « Je suis au PPS pour ce que ce parti a été avec Yata et pour ce que ce parti pourrait redevenir », souffle le militant. Et puis quand on est papivore comme Soufiane, le parti du livre semble la voie la plus évidente...
Â
Lot d’insultes
Mais en attendant de suivre la voie du parti, Soufiane Sbiti trace son propre sillon, bien loin des autoroutes balisées par les pensées dominantes.
Pour les Maroc Web Awards, c’est un de ses post iconoclastes qui a été sélectionné. Dans « Lettre à un homosexuel », Soufiane, qui se revendique comme un hétéro, écrit : « Mon ami, tu n’es pas l’anomalie, tu n’es pas l’exception, tu n’es pas l’erreur. Mon ami, tu es celui qui apprendra à l’humanité la liberté. »
A la suite de ces écrits, il a récolté son lot d’insultes mais aussi des remerciements « de gens que je ne connaissais pas » sur facebook.
L’entretien tire à sa fin. Après avoir longtemps gardé les yeux baissés, Soufiane s’anime et lève la tête. Le jeune homme timide a du courage à revendre. Et il sait déjà vivre debout.
Eric Le Braz |