Formée par Noureddine Ayouch, la coordinatrice de la communication du PJD a appliqué les méthodes de Shem’s pour faire gagner la lampe.
Noureddine Ayouch en rit encore. « Un jour, Benkirane m’a appelé pour me dire ‘‘est-ce que tu peux m’en former une vingtaine comme elle ?’’ » Elle, c’est Aicha Elabbasy qui fut près de dix ans auprès du gourou de la com’ au Maroc, secrétaire puis très vite assistante du boss, conceptrice-rédactrice, attachée de presse, organisatrice de festival et enfin chargée de projets puis manager, un véritable couteau suisse !
Du Collectif démocratie modernité à la fondation Zakoura en passant par 2007 Daba, elle fut la cheville ouvrière de Noureddine Ayouch chez Shem’s Publicité. Avant de devenir la dircom de la lampe auprès de Chibani. Drôle de parcours pour une surdouée discrète que rien ne prédisposait à un tel destin.
Mais Aicha Elabbasy se souvient d’où elle vient et sait où elle va. Née en 1975, aînée d’une fratrie de huit enfants, elle a grandi dans le quartier marginalisé de Lissasfa, derrière les facultés de la route d’El Jadida à Casablanca.
Pour aller au collège, Aicha part de chez elle à 6 h pour revenir vers 20 h. Toujours première de la classe, les profs l’apprécient et la soutiennent. Mais c’est surtout son père, Mohamed, disparu il y a deux ans, qui fut son mentor et son modèle.
Si ce commerçant aimé et admiré n’est jamais allé à l’école, il a de l’ambition pour sa fille et lui transmet très tôt le virus de la politique. « Alors que j’étais en primaire, il m’achetait Al Ittihad Al Ichtiraki et Al Alam ! » Aicha ne se contente pas de lire la presse et devient très vite la dircom de son papa en écrivant des lettres de protestation où il se plaint de la gestion du quartier, en accusant la commune ou le gouverneur.
Après son bac, elle décroche une licence de littérature anglaise puis un « petit diplôme d’informatique » pour pouvoir travailler. « J’ai décidé de ne pas être diplômée chômeuse. »
Et pour cela, elle se formera toute sa vie, jusqu’au MBA à Paris Dauphine achevé il y a un an. C’est après un diplôme en communication marketing au Collège Lasalle qu’elle intègre le groupe Shem’s, en 2002, où elle s’occupera de développement durable, de culture et de politique. La pub pour les lessives, ce n’est pas son truc.
Un vent nouveau, un carnet d’adresses et un savoir-faire
Très vite repérée par Noureddine Ayouch, elle reste près de dix ans auprès de lui sans craquer : « Il est dur. » Exigeant ? « Oui, mais pas aussi exigeant que moi ! Tous ceux qui le connaissent savent que j’étais la seule à pouvoir lui survivre. Mais il m’a tout appris sur la com’ et le marketing. Et il m’aimait beaucoup. Parce que je travaillais beaucoup aussi... » Ayouch lui délègue rapidement de plus en plus de tâches. Il l’envoie même croiser le fer dans des débats à la télé face à Benchemsi et Benatiq. « Après le débat, Benatiq m’a appelé : il voulait me la prendre ! Le PPS aussi l’a approchée », se souvient Ayouch. Mais elle refusera toutes ces avances y compris celles de l’USFP : « Habib El Malki m’avait dit ‘‘si tu viens, c’est tapis rouge’’. » Mais après le départ de Omar Balafrej, elle ne s’imagine pas dans le parti de la rose.
Aicha se réveillera réellement à la politique un certain 20 février 2011. Elle ne rate pas une manif et fait la com’ du mouvement sur Facebook jusqu’au discours royal de juillet. « A ce moment-là , j’ai compris que soit on intègre un parti et on milite au sein d’une institution, soit l’on descend dans la rue. » Elle choisit le PJD : « Moi je suis conservatrice et croyante. Je l’ai toujours été. » Elle marque une pause. « Je vais vous montrer quelque chose qui explique tout. » Elle sort alors de son sac une photo de son père, un homme au regard sage, à la barbe bien taillée. Mohamed Elabbasy ne lui a pas enseigné que la politique, mais aussi les valeurs de l’islam.
En juillet, Aicha prend sa carte sans mettre le voile : « Benkirane m’a accueillie. C’est moi qui ai posé la question. On m’a dit ‘‘tu crois que dans nos familles, tout le monde porte le voile ?’’. »
Aicha Elabbasy apporte au parti de la lampe un vent nouveau mais aussi son carnet d’adresses et son savoir-faire. Véritable agence de com’ en interne, elle se souvient de la méthode Ayouch et ne se contente pas de fondre la charte graphique. « Comme pour 2007 Daba, souligne Ayouch, elle a fait un énorme travail au niveau des élites intellectuelles et économiques, et au niveau des jeunes. Elle a rassuré. » Et elle a assuré.
Après la victoire, on l’imagine aisément dans un cabinet ministériel ou auprès de Benkirane. Pas elle. « Le parti, c’est la maison. Si on ne fait pas attention à la maison et qu’on part tous au gouvernement, que va devenir le parti ? »
Et Aicha, que va-t-elle devenir ? Noureddine Ayouch a sa petite idée : « Je la vois bien comme députée et, un jour, ministre. Elle est honnête, travaille beaucoup et est bien organisée. Je connais beaucoup de ministres qui ne lui arrivent pas à la cheville. » Rendez-vous en 2016...
Eric Le Braz |