Les dinosaures ont fait leur temps et la relÚve arrive. Chaque semaine, actuel présente les futurs leaders du pays...
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Il a la tenue rĂ©glementaire du rĂ©volutionnaireâ: keffieh palestinien et casquette du gauchiste marocain. Dans les manifs, on le reconnaĂźt de loin car il est haut perchĂ© sur les Ă©paules dâun militant baraquĂ©, le mĂ©gaphone Ă la main.
Petit gabarit mais voix de stentor et charisme indĂ©niable, ce 25 septembre, dans les ruelles de BĂ©ni Makada, Rochdi Aoula harangue ses troupes avec des slogans virulents Ă lâencontre du Makhzen... mais sans jamais rĂ©clamer un renversement de rĂ©gime.
RencontrĂ© la veille dans un cafĂ© du centre, lâun des meneurs du 20-FĂ©vrier Ă Tanger nâa pourtant rien, en apparence, du tĂ©nor de manif. Dâune voix posĂ©e, douce et Ă peine audible, ce leader nĂ© de 23 ans Ă©grĂšne son parcours dâĂ©tudiant studieux et de militant modĂšle.
Fils dâun ingĂ©nieur et dâune mĂšre au foyer (avec qui il parle politique), il potasse Ă distance ses cours de Sciences Po de lâuniversitĂ© libre de Bruxelles. Enfin, quand il ne milite pas.
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Un activiste de terrain
A peine majeur, il Ă©marge dĂ©jĂ Ă lâAMDH. En 2007, il rejoint le PADS dont il est toujours membre. Toujours Ă gauche. Et toujours musulman... mais pas islamiste car lâislam ne doit pas rĂ©genter toute la vieâ: «âIl y a dâautres choses que la religion.â»
Des islamistes, il retient surtout leur forte prĂ©sence sur le terrain. Une stratĂ©gie quâil a toujours lui-mĂȘme appliquĂ©e. Adolescent, il Ă©tait membre de lâAssociation marocaine pour lâĂ©ducation de la jeunesse (AMEJ).
Le moniteur bĂ©nĂ©vole qui organisait des colonies de vacances et lâalphabĂ©tisation des enfants de rue est aujourdâhui prĂ©sident de lâAssociation de dĂ©veloppement des enfants et de la jeunesse Ă Tanger et trĂ©sorier de lâantenne locale de lâAMEJ.
Toujours un pied dans le social. Et un autre dans la politique. Avec un tel CV, on imagine quâil a plongĂ© Ă pieds joints dans le 20-FĂ©vrier. Le militant a pourtant rejoint le mouvement Ă petits pas. Ce nâest pas vraiment un activiste virtuel, Rochdi Aoula. «âJe nâĂ©tais pas trĂšs actif sur facebook, je prĂ©fĂšre le terrain.â»
Depuis le 20 fĂ©vrier, il est servi. Le terrain, il lâoccupe dans le quartier populaire de BĂ©ni Makada. Des manifs peu couvertes par les mĂ©dias mais assez impressionnantes car elle attirent autant de monde quâĂ Casa dans une ville qui compte dix fois moins dâhabitants (voir page 37).
Lâattention sâest pourtant portĂ©e sur la ville du dĂ©troit le 18 septembre dernier quand les manifestants ont entonnĂ© un slogan quâon avait jusque-lĂ entendu en Syrie ou en Tunisieâ: «âAchaab yourid iskat annidamâ» (Le peuple veut la chute du rĂ©gime ). «âOn a Ă©tĂ© les premiers surpris et notre premiĂšre rĂ©action a Ă©tĂ© de rireâ», commente aujourdâhui Rochdi Aoula qui nie avoir prononcĂ© lui-mĂȘme le slogan. Un rire un peu jaune quand mĂȘmeâ: «âLe 20-FĂ©vrier a un axe clair.
Et la gauche radicale nâa jamais repris ces slogans. Ce sont vingt ou trente citoyens ordinaires qui les ont spontanĂ©ment lancĂ©s et ils ont Ă©tĂ© repris par les manifestants.â» La semaine suivante, les mĂ©gaphones capteront lâaudience et empĂȘcheront ces dĂ©bordements verbaux.
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Lâhomme prudent...
Tout gauchiste quâil soit, Rochdi Aoula est prudent. Et quand on lui demande son Maroc rĂȘvĂ© dans dix ans, il nâimagine pas une rĂ©publique, mais un roi «âsans pouvoirâ». Alors qui aura le pouvoirâ?
«âLe peupleâ», mais sĂ»rement pas luiâ: «âJe nâaime pas le pouvoir. Je suis lĂ pour dire âânonââ. Je serai toujours un militant pour la libertĂ©, la dignitĂ© et la justice sociale. Si le Maroc respecte ces valeurs, je choisirai un autre pays, le SĂ©nĂ©gal, lâAlgĂ©rie ou la Palestine pour continuer la lutte.â»
Il y a un petit cĂŽtĂ© internationaliste chez ce militant invĂ©tĂ©rĂ© qui veut exporter ses rĂ©volutions comme le Che. Guevara fait dâailleurs partie de ses rĂ©fĂ©rences. Avec Gandhi et Nelson Mandela.
Mais le premier modĂšle quâil cite, câest «âle messager Mohammedâ». Le prophĂšte et le Che rĂ©unis dans le mĂȘme panthĂ©on personnelâ? «âOn ne peut pas les comparer bien sĂ»râ», reconnaĂźt Rochdi.
Mais quand, juchĂ© sur les Ă©paules dâun solide gaillard, il survolait la manif Ă BĂ©ni Makada, le gauchiste croyant a, durant un moment, cessĂ© de clamer au mĂ©gaphone des slogans convenus du 20-FĂ©vrier pour scander «âAllah akbarâ». Et la foule nâa jamais Ă©tĂ© aussi ardente Ă reprendre un mot dâordre du Che de Tanger.
Eric Le Braz |