Les dinosaures ont fait leur temps et la relève arrive. Chaque semaine, actuel présente les futurs leaders du pays...
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Elle est voilée, elle fait sa prière cinq fois par jour et elle est une des figures du mouvement du 20-Février à Marrakech. Mais l’habit ne fait pas le voile. Aysha Knidiri n’est pas une adliste et, si son engagement politique prend racine dans sa foi, elle affirme sans ciller qu’elle est partisane d’un Etat laïque : « Mais pas une laïcité à la française qui m’interdirait le voile !
Quand je vois comment la religion est utilisée ici, je préfère la laïcité. On a vu pendant la campagne du référendum comment la religion manipule les pauvres d’esprit. Il faut la séparer de l’Etat. »
Elle est comme ça Aysha, soumise à Dieu mais libre d’esprit. L’islam, c’est une affaire entre Dieu et elle : « Si j’ai des doutes, je lis, je cherche, je reviens au Coran et je me forge ma conviction. »
Et comme les autres membres du mouvement, elle est pour la liberté de croyance : « Il ne faut pas jouer avec la religion. Si tu me respectes voilée, je te respecterai même nu ! », dit-elle avant d’éclater de rire.
Elle n’a aucun problème à fréquenter les athées du mouvement et s’entend d’ailleurs mieux avec les gauchistes qu’avec les adeptes du cheikh Yacine, qu’elle juge plus « hypocrites ». La langue de bois, ce n’est pas son truc.
C’est ce qui l’empêche d’envisager un avenir politique : « Plus tard, j’aimerais m’engager. Mais pas dans un parti. Je ne me sens pas assez forte et pas assez hypocrite. Pour faire de la politique, il faut savoir manipuler. Moi je dis ce que je pense. » Réfractaire à tout embrigadement, le melting-pot libertaire du 20-Février correspond bien à cette révoltée.
C’est de famille. Fille de profs qui vivent dans la médina, elle se souvient qu’on a toujours parlé librement à la maison. Toute la famille a d’ailleurs manifesté contre le référendum. Sauf le grand frère qui a voté « Oui » et une tante « boutchichOui »…
Même le grand-père, responsable d’un bureau de vote, a boycotté. Pourtant chez les Knidiri, on est limite anar mais on critique beaucoup sans forcément militer. Aysha aussi est restée longtemps attentiste et, si elle s’est engagée dès le début dans le mouvement du 20-Février, c’est qu’il répondait à ses aspirations de justice sociale.
L’égalité des chances entre riches et pauvres, la lutte contre les inégalités, voilà ce qui motive cette étudiante de 24 ans qui fait sa thèse sur le développement touristique à l’université Cadi Ayyad.
C’est d’ailleurs au cours de son master sur le thème « Tourisme et pauvreté à Douar Belaâguid et au bidonville Douar Moulay El Mahdi », que la conscience sociale de Aysha Knidiri s’est affirmée : « J’ai découvert l’esclavage, des gens qui perdent un doigt et n’ont aucune assurance…
Au restaurant Chez Ali, on paye 40 dirhams la journée un cavalier et son cheval ! Et à côté des lieux touristiques, on trouve des quartiers sans eau ni électricité où règne l’insécurité… Le tourisme, c’est du camouflage. »
A défaut de politique, Aysha aimerait s’engager à l’avenir dans une ONG qui pratiquerait le tourisme durable. Mais en attendant ces jours lointains, elle n’est pas près de quitter un mouvement où, même s’il y a des hauts et des bas, elle a le sentiment d’être utile.
Il est vrai qu’à Marrakech, les dissensions violentes que connaît le 20-Février à Casa, Rabat ou dans le Nord, semblent atténuées. Même les « baltajias » locales sont plus cool. Alors qu’à Casa ou Rabat, ça castagnait dans les manifs, on dialoguait à Sidi Youssef Ben Ali : « On a pu leur parler. Nous leur avons expliqué qu’on n’était pas contre le roi. Et ils nous ont compris : c’était émouvant. »
Aysha déclare d’ailleurs n’avoir aucun problème avec la monarchie et conçoit le « côté féerique » de la royauté qui existe partout dans le monde. Mais elle considère aussi que le coût des palais « pourrait être investi ailleurs ». Et a du mal à admettre un score au référendum qui atteint 98,5%. « C’est presque humiliant. On n’est quand même pas à l’époque du roi Arthur ! »
C’est vrai que Aysha ne prend pas toujours des gants quand elle s’exprime. Et elle croit que sa liberté de parole est incompatible avec la politique. Mais c’est pourtant justement ce qui manque à la politique…
Eric Le Braz |