Les dinosaures ont fait leur temps et la relève arrive. Chaque semaine, actuel présente les futurs leaders du pays...
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Anas El Filali est médecin de formation et lauréat d’un MBA. Après avoir été chef d’entreprise, il est aujourd’hui directeur exécutif du cabinet Cromar, première filiale marocaine du groupe européen MT3D, spécialisé en recherche biomédicale. Il enseigne par ailleurs la « stratégie d’entreprise » au sein de masters.
Sans parler du fait qu’il est aussi militant associatif. Il est d’ailleurs le seul homme à figurer dans le comité de direction de Solidarité féminine, l’association de Aïcha Chenna qui s’active dans la promotion et la prise en charge des mères célibataires.
Mais c’est par sa qualité et ses positions de blogueur qu’il s’est le plus fait connaître. Bigbrother.ma, c’est lui. Son blog à caractère politique réalise une moyenne quotidienne de 3 000 visiteurs, avec des pics pouvant atteindre les 50 000.
« Tout a commencé en janvier 2009. Je suis quelqu’un que le débat, le commentaire de l’actualité passionnent au plus haut point. En face, et dans la presse francophone en particulier, je ne retrouvais pas mes convictions, ni mes idées. D’où mon besoin de l’époque d’avoir ma propre tribune en quelque sorte.
Et puis il y a eu le déclic des attaques sur Gaza. Mes commentaires, que je postais sur des sites français, et bien qu’ils ne comportaient pas d’insultes à l’égard d’Israël, étaient systématiquement censurés. Bigbrother.ma était alors une urgence. Et je l’ai créé », se souvient Anas El Filali.
Deux ans après, et foisonnement de l’actualité oblige – notamment arabe et marocaine –, Bigbrother est devenu une référence incontournable de la blogosphère du pays. Cela a un coût : le temps. Comment fait-on pour combiner une activité professionnelle prenante, un militantisme à temps plein (c’est lui qui s’occupe de la gestion interne de Solidarité féminine) et un blog qu’il suffit d’oublier quelques jours pour voir son audience déserter ?
Anas El Filali dit s’inspirer des grands philosophes, médecins et mathématiciens arabes qui, souvent, étaient tout cela à la fois. « Alors qu’ils n’avaient pas les moyens dont nous disposons aujourd’hui, ils arrivaient à tout faire. Pourquoi pas nous ? », s’interroge notre blogueur.
Il ne s’inspire pas uniquement de l’histoire des Arabes, mais aussi du patrimoine culturel de la société marocaine. Anas El Filali se dit d’ailleurs ouvertement conservateur.
« Ce sont des valeurs comme la famille, le respect, la solidarité qui font la force de notre société. Et même en économie, la famille reste la principale source de financement », explique-t-il. Pourquoi ne pas adhérer à un parti politique pour mieux défendre ses idées ? « Parce que là encore, je ne me retrouve dans aucune des formations politiques en présence. Le seul parti qui m’interpelle, par son sérieux, sa combativité et la démocratie interne qu’il s’applique, c’est le PJD.
Mais il est juste le moins pire d’entre eux. Et l’idéologie islamiste, ce n’est pas pour moi. Je me reconnais plus dans la pensée des réformateurs comme Mohamed Abdou ou Taha Hussein que dans les dogmes salafistes », rétorque El Filali.
Anas El Filali a néanmoins une étiquette qui lui colle à la peau : celle d’être un makhzani. Lui s’en défend… et va jusqu’à s’en offenser. « Il y a trois manière de voir les choses. Ou bien on dit que rien ne va et qu’il faut tout changer, comme le font certains.
Ou bien on affirme que tout va bien et on s’en félicite, et cela bien d’autres le font. Moi, je suis de ceux qui critiquent mais qui sont conscients que de bonnes choses se passent aussi dans ce pays. Et dans tout cela, je respecte le roi. Je plaide pour un Etat fort qui s’impose des règles, celles de la démocratie.
Je ne pense pas que ce soit la définition du makhzénisme », dit-il. Et de citer des exemples de prises de position pour étayer son propos : lancement d’une journée sans téléphone portable pour dénoncer le monopole des sociétés télécoms, l’appel à la libération de Rachid Niny…
« Malheureusement, ceux-là mêmes qui me qualifient de makhzani ne se sentent pas le courage de dénoncer les aspects rageants de notre société et de notre fonctionnement », conclut le blogueur, sur un ton de défi.
Tarik Qattab |