Les dinosaures ont fait leur temps et la relève arrive. Chaque semaine, actuel présente les futurs leaders du pays...
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L’un des piliers du Mouvement du 20 février a commencé sa carrière médiatique en devenant une tête de turc. La semaine précédant la première manif, une photo piquée sur Facebook le représentant posant dans la cathédrale de Rabat a fait le tour du web et de la presse.
C’était pourtant un simple cliché pris par une amie algérienne en visite à Rabat parce qu’il « aimait l’architecture de la cathédrale ». Mais pour les détracteurs du mouvement, il n’y avait pas photo : Nizar Bennamate était un chrétien, un converti, un apostat.
Même pas peur. Le militant en a vu d’autres : «Quand je militais au MALI, j’ai reçu des menaces de mort. » Et il est alors tellement impliqué dans la préparation du mouvement qu’il a à peine remarqué les tombereaux d’injures déversés dans les forums.
Depuis, Nizar Bennamate s’exprime régulièrement dans les reportages consacrés au 20-Février. Moins médiatisé que son ami Oussama El Khlifi dont le look cheguevaresque fait le bonheur de la presse occidentale, il est pourtant devenu l’un des interlocuteurs privilégiés des journalistes.
Animateur de la commission média du 20-Février, tête chercheuse du mouvement (il imagine des flash mobs pour ne pas lasser avec des manifs), cet apprenti journaliste à l’ISIC débute ainsi dans la carrière en répondant aux questions des confrères. Radical sur le fond mais mesuré dans la forme, Nizar Bennamate est devenu l'un des canaux officiels d’un mouvement multiforme car il sait expliquer ce qui paraît cacophonique.
Né à Marrakech il y a 25 ans de parents enseignants, il n’a d’abord adhéré qu’à deux partis : celui du metal et celui du punk au lycée. En raison d’un redoublement, il ne suit pas ses copains à la fac et il comprend en les écoutant que, pour ne pas devenir diplômé chômeur, il doit passer des concours.
Et c’est ainsi que ce scientifique réussit à intégrer l’ISIC. Un peu par hasard. Il se plaît pourtant rapidement dans ce milieu de littéraires à la fibre militante même s’il se cherche encore.
Ceux qui l’ont connu alors se souviennent qu’il pouvait aussi bien « se passionner pour les débats entre Catherine Fourest et Tariq Ramadan qu’être fasciné par la personnalité de Sarkozy ! » Mais c’est la gauche qui l’attire.
Il rejoint l’AMDH en 2008 : « La question des droits de l’homme, pour moi, c’est le début de l’initiation en politique. » Et il sait où se situer : résolument à gauche et laïque.
Comment devient-on laïque ? Nizar hésite à répondre : « Je ne sais pas si j’ai envie d’exposer ça en public… ». « ça », c’est le passage par l’athéisme : « Au départ, j’étais musulman comme tout le monde. Puis je me suis retrouvé athée donc forcément laïque. »
Mais il a retrouvé la foi tout en gardant ses convictions laïques. Et c’est en musulman qu’il a milité au MALI. Le jour des sandwichs, il faisait le ramadan et était là par solidarité : « Le jeûne est une question de liberté individuelle ! Si on ne pratique pas la liberté dans l’espace public, ce n’est pas une liberté ! »
Le passage par l’athéisme a été une prise de conscience pour Nizar : « S’il y a une minorité, le credo des autres ne doit pas s’imposer à elle. » C’est un peu dans cet état d’esprit que le 20-Février s’est construit. Et que les dé-jeuneurs ont pu trouver un objectif commun avec des adlistes.
Mais si on se tolère, on ne parle pas des questions qui fâchent. Un tabou ? « Non, je crois que les adlistes sont mûrs sur cette question. Ils se sont prononcés pour un Etat civil. »
Quand on lui fait remarquer que « la préparation effective à l’Etat islamique » fait toujours parti des buts du cercle politique de la Jamaâ, il nuance. « Je ne sais pas si leur évolution est juste une tactique ou si leur pensée a changé. On devrait créer un débat public sur ça pour les mouiller davantage. »
Pragmatique, Nizar Bennamate. Un vrai politique qui, pourtant, refuse d’envisager un engagement dans un parti qu’il juge, à juste titre, incompatible avec un job de journaliste…
Eric Le Braz |