Les dinosaures ont fait leur temps et la relève arrive. Chaque semaine, actuel présente les futurs leaders du pays…
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Les politiques donnent souvent des interviews dans leurs bureaux ou dans les bars d’hôtels discrets. Lui reçoit au B-rock, le club de Momo du L’Boulevard à deux pas du phare de Casa. Et en sirotant tranquillement son verre de Cinzano, l’homme qui se définit comme « clairement laïque » rêve tout haut d’un Maroc où il pourrait accomplir ce geste sans être « hors la loi ».
Il est comme ça Omar Balafrej, bientôt 38 ans, directeur général du Technoparc dans le civil, et l’une des figures emblématiques d’une nouvelle génération d’hommes politiques, tout en étant l’héritier d’une lignée impressionnante de leaders de gauche.
Car la politique, chez Omar Balafrej, c’est d’abord une affaire de famille. Son grand oncle (Ahmed Balafrej) fut le premier ministre des Affaires étrangères du Maroc ; la femme de AbderrahimBouabid était sa grand-mère maternelle, et celle de Mohamed Elyazghi, sa tante paternelle. A 8 ans, il passait ses week-ends à Missour où ses tontons avaient été emprisonnés par Hassan II.
De quoi développer un sens politique précoce : « J’étais plutôt régicide à cette époque ! » Trente ans plus tard, le discours s’est nuancé : « Je n’ai aucun problème avec la monarchie. Les plus grandes démocraties européennes sont des royaumes. En tant que social-démocrate, mon modèle ce sont les monarchies scandinaves. »
Mais comment être soc-dem au Maroc ? Et comment être de gauche quand on passe toute sa carrière à travailler dans des structures d’aide aux entreprises ? Pour ce centralien, les réponses sont dans les questions : « Je suis partisan d’une très forte redistribution des revenus mais je crois aussi aux avantages du secteur privé, à l’énergie des entrepreneurs… qu’il faut savoir réguler. »
Ce discours devrait être celui de l’USFP dont Omar Balafrej fut un jeune élu municipal à Ifrane. Mais l’USFP n’est plus sa famille et il en parle avec amertume : « C’est un parti pourri de l’intérieur. Depuis qu’il a accédé au pouvoir, les leaders ne se sont pas remis en question et ceux qui y adhèrent ne le font plus que par intérêt ! »
Il fut agent recruteur pour le parti à la rose. A l’entendre, un des pires jobs qui existent : « A Ifrane, je côtoyais des profs berbères, instruits et qui auraient pu changer la face de la région s’ils s’étaient présentés aux élections.
Mais ils considéraient que c’était dangereux pour leur carrière… » Après avoir vu les meilleurs éléments de la société laisser la politique aux opportunistes incompétents, Omar Balafrej a tiré sa révérence l’année dernière, désespérant de changer son parti de l’intérieur.
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Un futur parti politique ?
Mais pas de rénover la gauche. Président de la fondation Bouabid, il est aussi l’un des initiateurs de Clarté-Ambition-Courage, un appel qui a rassemblé plus de 700 signataires… dont de nombreux futurs vingtfévrieristes. A terme, ce CAC 700 pourrait devenir un parti politique.
En attendant, il préconise des mesures d’urgence pour instaurer une véritable justice sociale dans le pays : instituer l’impôt sur la fortune, augmenter celui sur les successions (« Il est plus faible qu’aux Etats-Unis, le pays de l’ultralibéralisme ! ») et lancer un moratoire sur les chantiers d’infrastructures : « La carte du TGV en 2040, c’est la même que celle que les Français nous ont laissée !
Pas une seule nouvelle ligne ; et quand on habite Ouarzazate ou Errachidia, on n’a pas droit au train ? » Le discours est rodé et le charisme indéniable. On se demande ce que Omar Balafrej attend pour défendre ses idées devant les électeurs. Mais le grand frère réformiste des jeunes révolutionnaires n’est pas pressé. Il pense à l’après-2012. Il sait que les idées qu’il défend sont encore minoritaires dans le Royaume et qu’il faut une génération pour transformer un pays…
Eric Le Braz |