A 28 ans, elle fait déjà partie de la génération new wave de la mode marocaine. Après 5 années d’un travail peu reconnu, elle assoit enfin son style dans la haute couture.
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Sa silhouette frêle passe le plus clair de son temps à arpenter les rues de Derb Omar et de Hay El Farah, vieux quartiers casablancais connus pour la vente de tissus en tous genres. De toutes les matières, ce n’est ni le satin ni la soie qu’elle préfère, mais plutôt le lin, la popeline… Les tissus qui ne paient pas de mine. Ghitta Laskrouif vient d’une petite bourgade à 60 km de Casa où ses parents ont pris la peine de lui expliquer que « tout ce qui brille n’est pas or ». Très jeune déjà , avec ses sœurs et son frère, elle a dû apprendre à réaliser beaucoup de choses de ses propres mains, parce qu’il fallait faire face à l’adversité. Coudre, rafistoler… est un jeu d’enfant pour la gamine qui dispose de beaucoup de temps libre. Puis, c’est sur les études qu’il a fallu se focaliser. Son père, n’ayant pas eu la chance de terminer les siennes, en fait l’alpha et l’oméga de son devoir envers ses enfants. Passionnée par le dessin, et l’art contemporain en général, Ghitta déboule à la métropole au terme de ses années de collège. Elle s’inscrit dans la section Arts plastiques d’un lycée pour filles. Puis, après avoir raté les inscriptions dans des écoles d’architecture d’intérieur, elle finit par céder au rêve de sa maman : étudier le stylisme. Depuis, elle noue une idylle avec la mode qui n’est pas près de s’achever. Sous la griffe Mozarabe, elle présente avec deux camarades de classe sa première collection pour l’édition 2007 de Festimode. Son style séduit par son irrévérence. On découvre un cachet bien trempé d’une récup’ chic bien de chez nous. « Un vêtement a forcément une âme et, par conséquent, a droit à une nouvelle vie. » Ghitta annonce ainsi son credo. Les organisateurs de la Fashion Week casablancaise ne la lâchent plus. Elle défile une nouvelle fois en 2010, en 2011 et cette année avec une véritable collection haute couture qu’elle a créée, et réalisée avec l’aide de sa maman, une virtuose du crochet. Un côté subtilement « keupon » jalonne ses créations d’audace et de beaucoup d’humour. On la compare d’emblée à Isabelle Marant. Tant mieux. Ghitta en est fan. Entre-temps, elle a créé la collection 2012 de la marque marocaine Flou Flou et a collaboré avec de nombreuses sociétés de production en tant que costumière. Aujourd’hui, Ghitta a passé sa première journée de boulot auprès du groupe Aksal qui lui a décerné un prix et lui financera une collection que l’on retrouvera prochainement sur un stand aux Galeries Lafayette. Son look un chouia nippon ne manque pas d’attirer l’attention des modeuses dans le café où on la retrouve : une veste bordeaux bricolée, une chemise impression jeans sur le col de laquelle la styliste a épinglé une paire de broches en perles de culture, le tout accordé à un pantalon noir et des baskets bleues légèrement compensées. Lorsqu’on lui fait le compliment sur la manière très particulière de nouer son foulard bariolé autour de la tête, laissant entrevoir une partie de ses beaux cheveux noirs et mettant en valeur ses yeux cernés de longs cils, elle se justifie : « J’ai voulu porter le voile mais j’ai vite compris qu’il était incompatible avec le milieu dans lequel j’ai choisi d’œuvrer. Du coup, je l’ai customisé. » Ghitta Laskrouif fera bientôt partie des grandes griffes de la mode marocaine et peut-être même internationale. Elle qui affectionne particulièrement Yohji Yamamoto, Alexander McQueen et Damir Domma, avoue que la mode japonaise reste sa première référence car « tous les créateurs, quelle que soit leur nationalité, s’inspirent de cette mode largement avant-gardiste tout en gardant un pied dans l’authenticité ». Repérée récemment par l’organisateur de l’événement The Souk à Marrakech, ce dernier lui dédie une partie de son concept store ouvert sur l’avenue Moulay Youssef à Casablanca où elle pourra enfin vendre ses créations.
Asmaa Chaidi Bahraoui |