Retenez ce nom ! Tarek Riahi est une figure de proue de la nouvelle génération du théâtre classique marocain. Mais il ne le sait pas encore. Il monte sur scène, donc il existe.
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Il danse, chante, écrit, met en scène et joue. Du haut de ses 28 ans, Tarek Riahi est comédien professionnel depuis dix ans déjà . Pourtant, rien ne prédestinait ce fils d’architecte algéro-tunisien à embrasser une carrière artistique. Il n’était encore jamais allé au théâtre lorsqu’à seize ans, il découvre la pièce Jounoune (Folies). « Ce fut l’électrochoc. J’étais mordu et mon seul regret était de ne pas avoir vécu cela avant », s’extasie le jeune homme au physique d’Ecossais. Le Théâtre Municipal qui trône sur l’avenue Bourguiba à Tunis n’est que le point de départ d’une longue vie sur les planches. « Je ne remercierai jamais assez la personne qui m’a offert ce ticket ! », ajoute le comédien, comme pour rappeler à quel point le hasard a joué en sa faveur.
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Pour l’amour de l’art
Au lycée où il avait choisi la section littérature anglaise, il multiplie les rôles et enfile les costumes. Hamlet de Shakespeare, ainsi que la plupart des figures emblématiques de la littérature anglophone, le jeune homme les campe tellement de fois qu’il ne fait plus la différence entre sa propre vie et la leur. Les répliques deviennent des pamphlets pour son quotidien. Après le théâtre amateur du lycée, Tarek rejoint une troupe professionnelle. Il faut dire que son inscription en faculté de lettres anglaises lui laisse le temps de s’adonner « boulimiquement » à sa passion. De Damas à Bruxelles en passant par Alger ou encore Tunis, au gré des représentations et des formations éclectiques, le comédien peaufine son goût pour le théâtre. Mais il lui manquait quelque chose. « J’ai fait le chemin inverse. Lorsque je suis devenu comédien professionnel, j’ai décidé de m’inscrire à l’ISADAC (Institut supérieur d’Art dramatique) de Rabat, histoire de décrocher un vrai diplôme. J’avais envie d’avoir un autre regard sur la formation », explique t-il. Commence alors une vie maroco-marocaine qui le renvoie à son enfance. « Je suis né au Maroc et ma mère est tangéroise. Je m’identifie surtout à ce pays pour son immensité et pour l’authenticité de ses habitants. C’est très inspirant pour un artiste », ajoute Tarek. Pugnace, d’un mémoire de fin d’études il fait une pièce dont l’élaboration prend un an. « Il a fallu revisiter une histoire babylonienne pour la rendre merveilleuse, tabler sur les costumes, le chant, la danse et l’éclairage pour inviter le public à rêver avec nous », se justifie le comédien qui joue le rôle principal, celui de Gilgamesh, héros de la Mésopotamie antique, en quête d’immortalité. A l’heure où l’art moderne balaie sur son chemin tous les codes du classique, notre comédien, harponné par les dieux des mythologies anciennes, choisit de réécrire l’histoire, de la mettre en scène et de la jouer. « Le théâtre contemporain nous rappelle à notre quotidien et à son marasme. Le public est épuisé par autant de réalisme. Nous sommes passés par des guerres, des crises d’identité, de la violence. Cela ne m’intéressait pas de reprendre ces événements dans ma première pièce. J’ai voulu puiser dans les contes, histoire d’interroger le public sur des questions existentielles tout en le divertissant. Nous sommes un jeune public biberonné à l’image. Entre la télé, YouTube et le Net, il a fallu une scénographie cinématographique pour l’intéresser, le rassasier visuellement », argumente Tarek. Fragments d’argile-Gilgamesh est jouée sur scène depuis un an et projette des représentations un peu partout au Maroc. Quant à Tarek Riahi, il ne compte pas en rester là . Dans le même esprit, il tente d’organiser une caravane de contes. Même si les sponsors ne sont pas au rendez-vous, le jeune homme est prêt à vivre de la vente de ses peintures, comme il l’a fait durant ses quatre années d’études. Parce qu’il faut immortaliser Gilgamesh.
Asmaa Chaidi Bahraoui |