Un talent est né. Elle est marocaine, déjà surdouée et n’a pas froid aux yeux quand elle les pose sur le viseur.
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Jeudi 17 mai, il est 19h à la galerie HD. Entre deux petits fours, la foule s’attarde longuement sur chacun des clichés de la première exposition de Yasmine Laraqui, tandis que celle-ci, très timide, crée cet exquis paradoxe de ne ressembler en rien à ses modèles, lorsque c’est à elle de prendre la pose… Grosses lunettes, petite robe et talonnettes noires, la jolie brune de 23 ans réussit malgré tout à esquisser un petit sourire. « C’est la première fois que j’expose seule et je crois que c’est toujours impressionnant de voir autant de monde devant ce qu’on a réalisé », explique Yasmine. Entre passer devant ou derrière l’objectif, la jeune artiste a choisi son camp, et il suffit de jeter un coup d’œil à son travail pour saluer sa décision. Elle a été repérée par Hicham Daoudi, qui lui a proposé très vite une exposition personnelle dans sa galerie. « C’est vraiment assez audacieux de sa part d’exposer une jeune artiste comme moi, et qui plus est, qui présente un art contemporain qui est loin d’être ce que le public a l’habitude de voir», décrypte l’artiste.
Mais si c’est le premier solo-show de la photographe, son passage chez HD est loin d’être sa première exposition. A 23 ans, elle a déjà exposé à Paris, Amsterdam ou encore Sanary-sur-Mer. Si elle est née et a grandi à Casablanca, elle vit et travaille actuellement à Paris. C’est sa passion pour l’art qui la pousse vers une branche littéraire à Lyautey. « J’ai eu la chance d’acquérir de bonnes bases grâce à deux ans de cours particuliers de dessin, après j’ai su que c’était ce que je voulais faire après le bac. » C’est ainsi qu’elle intègre, une fois celui-ci en poche, l’Ecole nationale supérieure d’Arts Paris-Cergy.
Arrivée à Paris, Yasmine est dans son élément. A l’époque, elle était loin d’imaginer que c’est dans la photographie qu’elle trouverait sa voie. « La photo, j’en faisais depuis toujours, mais pour moi, c’était du bidouillage. Mais on m’a dit que j’étais bonne. » La passion pour l’objectif ne la quittera plus. Son inspiration, l’artiste préfère la puiser dans son vécu, ses états d’âmes, ses fabulations au quotidien... Et à voir les portraits de la demoiselle, et l’univers à moitié burlesque dans lequel nous plongent ses portraits, on ne peut s’empêcher de se demander si son quotidien n’est pas tiré d’un long-métrage de David Lynch. Aborder l’absurde dans un travail tout ce qu’il y a de plus expérimental, le tout sur toile de fond surréaliste, c’est le défi que s’est lancé la photographe.
Quelques-uns de ses portraits, des mises en scène pour la plupart, réinventent le porno-chic en lui attribuant une dimension plus humaine. Yasmine réussit à donner une âme à ses modèles, qui semblent perdus, et en pleine réflexion, mettant en exergue l’angle psychologique plus qu’esthétique. Il faut dire que la psychologie est l’une des plus grandes fascinations de l’artiste et représente une pièce maîtresse dans son travail. « Avant de faire un portrait, il faut absolument que je discute avec le modèle. Ce modèle, il faut qu’il ait des imperfections, qu’il soit humain. Après, il faut une sorte de connexion afin que je puisse décaler son côté psychologique sur le portrait. »
Yasmine reste aussi sensible à la philosophie. Elle citera Nietzche, Jean-Paul Sartre... Deux univers différents qu’elle exploitera aussi dans son court-métrage, Ch’houd, où elle raconte les tumultes psychologiques d’une jeune fêtarde à Casa.
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Yasmine’s Talking
Cachée derrière son objectif, Yasmine reste malgré tout une observatrice. Et il y a deux ans, elle relève qu’au Maroc, les jeunes Marocains, bien que recélant un fort potentiel, n’ont aucun espace pour s’exprimer. Si elle commence petit à petit à se faire un nom, elle jouit déjà d’une grande notoriété auprès de la jeune communauté artistique au Maroc. Son secret, Youth’s Talking, un collectif artistique qu’elle a fondé en 2010, et qu’elle préside. Elle a ainsi contribué à offrir à la jeunesse marocaine talentueuse un espace pour exposer ses productions. « Tout s’est passé dans ma chambre. J’étais comme d’habitude en train de pester contre l’univers quand l’idée m’est venue. Youth’s Talking restera toujours mon bébé. J’en suis très fière. » Le succès était au rendez-vous dès la première édition. Youth’s Talking, c’est un peu pousser les jeunes artistes à parler, dire ce qu’ils ont sur le cœur à coups de pinceaux ou de clichés. Quant à Yasmine, elle sait aussi s’exprimer, même quand elle n’en a pas le droit. Déçue de ne pas pouvoir exposer sa série de photos sur les orientations sexuelles, elle avoue peu apprécier la censure dont souffre l’art au Maroc. Tout en discutant, elle reste malgré tout secrète, un peu comme son portrait Next Door. Et l’artiste d’expliquer, sans pour autant se justifier : « Je pense que j’ai déjà un art très exubérant qui parle à ma place... » Au temps pour nous Mademoiselle.
Ranya Sossey Alaoui |