L’enfant de Sbata se moque gentiment des kilimini dans un rap jubilatoire qui oscille entre rock et jazz.
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C’est une chanson dédiée aux gamins de Sbata qui n’attendent pas que leur mère les borde, qui vivent à cinq dans une chambre mais qui ne donnent jamais un dirham pour fricoter avec une fille... Ce morceau est aussi une dédicace ironique et cruelle à tous les gosses qui ont des bagues sur les dents, dont la mère porte encore des minijupes à 45 ans et qui, pour avoir ce qu’ils réclament, n’ont qu’à dire « S’il te plaît Papa... » mais qui se font dépouiller par les nanas. Y a une justice, khoya.
Ça s’appelle Kilimini, un refrain aussi entêtant que les ritournelles bismillah des ambulants du Maârif avec des paroles qui ressemblent à des slogans enrichis en argot casaoui : « kilimini ay, yekh a lghdar machi bal3a9tak ratachrini » (Dégage, c’est pas avec ton argent que tu vas m’acheter). Explication de l’auteur : « Je ne parle que des riches qui se la pètent. Ce n’est pas une vengeance. »
Le 31 mars, un million et demi de téléspectateurs ont découvert son rap funky métamorphosé par des cuivres ou des guitares rock dans « Korsa live » sur 2M. Younès Lazrak, l’animateur, souligne l’influence de son producteur, Steve Lukacic. Modeste, ce dernier insiste sur le rôle de Si Simo dans la coloration rock de son premier album Bach Jay Bach Dayr (vendu sur iTunes, amazon et spotify) : « Il a réclamé des instruments live. Il voulait de la vraie musique. » L’Banjj, le premier single, a cartonné à la surprise générale avec 100 000 vues sur YouTube en moins de deux mois. Or, c’est du pur rock, solo de guitare compris.
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Pas de clichés bling-bling
D’où la question : comment devient-on rappeur quand on a un cœur de rocker ? Parce qu’on n’a pas le choix quand on est un enfant de Sbata : « Moi je n’avais pas les moyens de m’acheter une guitare. » Alors, il chante. Tout petit déjà , il entonne les morceaux de Bouchnak. Puis il découvre qu’une musique n’est rien sans la force du texte avec Nass el Ghiwane. Bob Marley lui apprend que le reggae, ce n’est pas que de la fumette mais aussi des valeurs. Vers 14 ans, il s’enthousiasme pour les groupes de rap américains comme Onyx, puis français : IAM, NTM. Mais c’est quand il entend les Algériens de MBS rapper en arabe, qu’il découvre sa voie et recycle sa voix. En 1999, il fait sa première scène avec son premier groupe, et là  : « J’ai ressenti un plaisir incroyable. » Suivront deux autres groupes puis l’aventure du Fez City Clan.
Aujourd’hui, Si Simo s’exprime en solo pour livrer un rap original... qui n’en est pas vraiment un. « On me dit que ce n’est pas du rap. On s’en fout, c’est de la musique. Moi, je ne suis pas un rappeur, je suis un écrivain. » Pas de clichés bling-bling, de sorties machos ou nationalistes... Si Simo scande des textes où pointent une conscience sociale et politique aiguë. Bach Jay Bach Dayr, le titre de son album est sans équivoque : « Le monde entier va trop vite... et au Maroc, on recule à grande vitesse. Pour avancer, tu crois qu’il faut arabiser les médias sahbi ? A la télé, j’ai entendu, une “moitié de barbu” dire que les rappeurs s’expriment dans une langue isolée. Mais quand tu parles à ton fils, tu lui dis ta3ala oubien aji ? Non, tu lui parles en darija ! »
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Pauvres mais pas voleurs
Son rap ne sombre pas pour autant dans la facilité. « Ses textes sont subtils et très imagés, souligne Younès Lazrak. Dans Le Maroc à l’envers (Balmagloub), il raconte un pays où le smic est à 8 000 DH, les hôpitaux meilleurs que les cliniques et où le Royaume prête de l’argent à l’Europe. Ça nous change du rap qui glorifie le drapeau rouge ! »
Le rap-rock politique de Si Simo n’est pas un hymne puéril à la violence. Ce sont des textes matures d’un homme qui dit « tu peux être père de famille et faire du bon rap ». Le papa rappeur se souvient aussi qu’il est un fils. Et pas de n’importe lequel : « Mon père était agent de police. Et après 36 ans de métier, il n’a même pas une mobylette. Les flics de son âge à la retraite ont de belles voitures, des maisons, des fermes. S’il avait voulu choisir le chemin malhonnête et facile, il aurait pu. Mais il ne l’a pas fait. Je suis fier de mon père. » Et ce dernier peut être fier de son fils quand il conclut Kilimini par « ce morceau est dédié à tous les gars qui, comme moi, sont pauvres, vivent avec la baraka et ne sont pas des voleurs ».
Eric Le Braz |