Star du journalisme d’investigation, gros producteur de scoops, du Rainbow Warrior à l’affaire Bettencourt, l’ancien directeur de la rédaction du quotidien français Le Monde et fondateur du site Mediapart était l’invité d’un débat à l’USM de Casablanca, autour du Printemps arabe et de la Palestine. Même s’il a toujours un peu tendance à donner des leçons, le coauteur de 89 arabe, le fait, dit-il, d’une manière « fraternelle ». C’est le grand frère trotskiste toujours un peu agaçant mais dont la machinerie intellectuelle bien huilée force le respect. A part ça, Edwy Plenel fut aussi, dans une autre vie, éditeur d’un best seller écrit par Gilles Perrault, qu’il présenta à Christine Serfaty... Rencontre avec ce moustachu au regard de paysan madré qui s’anime en public mais baisse les yeux en interview.
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Mon Maroc
C’est une histoire vécue longtemps à distance puisque j’ai été l’éditeur, le concepteur et l’inventeur du titre du livre de Gilles Perrault, Notre ami le roi. J’ai joué, à mon échelle, sous le règne de Hassan II, le rôle de lanceur d’alerte pour le peuple français, mais d’abord au service du peuple marocain, sur la façon dont le régime violait tout principe élémentaire de droit humain.
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Mes mentors
Ce ne sont pas des personnes mais des pays. J’ai passé mon enfance, jusqu’à 10 ans, en Martinique et ma jeunesse, jusqu’à 18 ans, en Algérie. Ce sont ces pays qui ont fait le Français que je suis. A la fois dans la découverte de la créolisation en Martinique et, en Algérie, dans la découverte que le droit d’avoir des droits n’était pas divisible. Je suis aujourd’hui un Français, Breton d’outre-mer, façonné par ce qu’il a appris au contact des peuples caraïbes et du Maghreb.
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Le livre de ma vie
Cahier d’un retour au pays natal, d’Aimé Césaire, en annexant le discours du colonialisme du même auteur. C’est un cri, à l’orée de la Deuxième Guerre mondiale, d’un homme descendant d’esclaves, descendant de ce chaudron où s’est inventée la mondialisation dans la conquête des Amériques. Ce cri énonce que l’humanité n’est pas divisible et que les libertés ne le sont pas non plus. C’est un cri de libération et de colère de l’immense poète que fut Aimé Césaire.
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Les articles dont je suis fier
Mes enquêtes sur Ouvéa en Nouvelle-Calédonie qui ont donné lieu – même s’ils n’ont pas respecté les droits d’auteur – au film de Kassovitz, L’Ordre et la Morale, et furent la révélation, en 1988, que la République française avait pu commettre un acte de guerre sur son soi-disant territoire de Nouvelle-Calédonie. Exécutions sommaires, tortures à l’électricité... j’ai révélé ce drame d’Ouvéa. Ce sont mes articles les moins connus, mais ceux qui ont le plus compté pour moi.
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Le scoop que j’aurais aimé sortir
C’est le scoop que je n’ai pas encore sorti et que je trouverai un jour. Je ne vis pas dans le regret. Nous continuerons à Mediapart nos révélations sur tous les pouvoirs. Il en reste à faire notamment sur l’actuelle présidence...
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Mon film
Spartacus de Stanley Kubrick montre que la révolte est éternelle. Notamment dans un passage devenu culte : les légionnaires promettent d’affranchir les esclaves qui dénonceraient Spartacus, et là , il y a cette scène formidable où tous les gladiateurs s’avancent et disent « I’m Spartacus ». C’est ce que l’humanité a fait en Tunisie, en Egypte…
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Ma passion
La randonnée. Marcher, escalader les montagnes, faire du dénivelé, chercher l’horizon : je dis souvent que, dans la randonnée, on apprend l’imaginaire en politique. L’horizon est ce que l’on cherche à atteindre sans jamais pouvoir le toucher.
Propos recueillis par Eric Le Braz |