Elle a écrit La mémoire des temps (1998), Etreintes (2000), Le cénacle des solitudes (2004), Fiction d’un deuil (2008), tous chez l’Harmattan. Plusieurs années de vie à Genève et la voilà de nouveau parmi nous. Bouthaïna est une personne d’une grande sensibilité et une auteure marocaine à découvrir.
MON LIVRE PREFERE
Il est difficile de réduire l’univers de la littérature et de la poésie à un seul livre mais, puisqu’il faut choisir, je passerais bien encore Cent ans de solitude avec Gabriel Garcia Marquez. Ce livre m’a suivie partout, des années durant. Il allait rejoindre Les Fleurs du Mal sous le matelas où je le glissais avant de m’endormir, ou restait ouvert sous mes yeux clos pour adoucir mes insomnies, entre lesquelles il déroulait comme un pont salvateur dont je continuais paisiblement la traversée chaque fois que mes paupières s’écartaient et chassaient des cils, avec dédain, les pensées qui s’y bousculaient.
Cent ans de solitude dans un champ de fleurs épineuses abreuvées de noirceur, voilà qui n’est pas pour encourager à la lecture. Mais l’univers déployé par Marquez dans ce livre ne laisse pas un goût de tristesse. Pour moi, il avait le goût et la féérie des contes de l’enfance, à la fois colorés et inquiétants. On s’y perd avec délice entre sourires et frissons.
MON AUTEUR
Je ne pourrais pas citer un auteur en particulier. C’est impossible. Il y a eu les premières amours, celles du lycée, Baudelaire, Dostoïevski, dix mille amours irraisonnées et enchevêtrées. Comment toutes les nommer ? Et puis il y a eu la découverte qui a marqué un grand tournant dans ma vie, ou du moins dans ma langue : celle des auteurs comme Khaïr-Eddine ou Aimé Césaire, qui écrivaient « étranger » avec une liberté telle que je me suis demandé de quoi on nous parlait quand on nous parlait de peur de la page blanche. La page blanche n’était plus qu’un incroyable espace de liberté où le corps pouvait se déchaîner.
LE FILM QUI M’A BOULEVERSEE
Comme pour la littérature, j’ai des milliers de souvenirs marquants. J’aime les films dont on ne ressort pas indemne, dont on a le sentiment de sortir à la fois écorché et grandi. J’ai passé des nuits blanches devant les films de Cassavetes, surtout devant Opening Night. J’étais fascinée par Gena Rowlands, toujours dans un rôle de femme tourmentée, fracassée par la vie.
MON CINEASTE
Là encore, difficile de choisir entre les Cassavetes, Lynch, Almodovar, des cinéastes aussi variés et aussi marquants que Les sublimes saisons de Kim Ki-Duk qui vous foudroient de grâce.
MON MAROC
J’y suis toujours venu à reculons, comme vers un amour fou et impossible, séduisant et effrayant. Tout ce que je peux dire, c’est que j’adore cette terre et que j’y suis chaque jour émue par des présences, des regards, une spontanéité d’une beauté qui me panse aujourd’hui de certaines blessures. Terre guérisseuse, malgré toutes les craintes, les colères et les tristesses qu’on peut tous ressentir face à certaines réalités.
LA PERSONNALITE QUI A CHANGE LE MONDE
Ces questions ont l’air simples, mais comment y répondre ? Je suis marquée, certainement, par des gens comme Martin Luther King. J’ai été choquée par la lâcheté et l’hypocrisie du monde face à un homme aussi sublime que l’Abbé Pierre, sali et exilé dans une indifférence effrayante, trahi par des hommes qui, même tous rassemblés, ne lui arrivaient pas à la cheville et sont venus ensuite faire mine de pleurer sa mort. Dans de tels moments, j’exècre le monde.
Propos recueillis par Bahaa Trabelsi |