Mohamed Berrada est un ancien ministre des Finances qui s’emporte contre la dictature de la monnaie, un prof d’économie qui s’irrite des élèves obnubilés par les chiffres en oubliant leurs lettres, et un ex-ambassadeur du Maroc à Paris qui ne craint pas d’égratigner la France de Sarkozy. A 66 ans, le professeur Berrada n’est pas tout à fait retraité. Président du centre de recherche Links, il affirme qu’il faut « discuter avec tout le monde y compris les extrémistes. Dans une démocratie, c’est la majorité qui décide. Et au Maroc, la majorité est tolérante. Mais si on n’écoute pas les extrémistes, ils commencent à s’exciter… » La voix de la sagesse d’un homme qui place la culture au-dessus de tout. On imagine mal Driss Benhima rédiger des haïkus en vol ou Mostafa Terrab versifier la nuit à la bougie. Berrada a dirigé l’OCP ou la RAM le jour tout en écrivant des poèmes le soir. Rencontre avec un Marocain singulier, président d’honneur de l’association Marocains Pluriels.
MES CRAINTES
Ce qui est dangereux, c’est la pensée unique. La domination du matériel et des valeurs monétaires. Nos comportements sont basés sur le consumérisme. Le pouvoir appartient au monde financier et les seules valeurs qui priment, ce sont les valeurs monétaires au détriment des valeurs morales et d’ouverture.
MES AMBITIONS
Je voudrais que ce monde compartimenté, où l’on n’analyse pas les faits dans leur globalité, soit plus ouvert. On a peur du monde actuel car on n’arrive pas à voir les liens entre les phénomènes. Pourtant la crise économico-financière est reliée à une multitude de crises de civilisation, de valeurs, de crises géopolitiques. Mais en analysant de manière sectorielle, on ne comprend plus les choses. Hélas, nous privilégions l’enseignement des matières quantitatives, la physique, les maths ; nous sommes dans un monde dominé par la technique et la science. On ne donne plus assez d’importance à la littérature, à la philosophie, à la sociologie, à l’art. Or on a besoin d’être créatif pour supporter les difficultés du moment.
MA VOCATION
J’ai eu plaisir à exercer et à vivre pleinement tous mes métiers, ministre, chef d’entreprise publique, diplomate… mais mon métier d’origine, c’est l’enseignement. J’aime être en contact avec les jeunes. Je suis né avec cette vocation et elle ne m’a jamais quitté puisque je suis un professeur retraité qui continue à donner des cours à la faculté de Droit de Casablanca.
MES MENTORS
Victor Hugo. C’est à la fois un homme politique et un poète. Et la poésie, c’est l’ouverture. Aujourd’hui, mon mentor c’est Edgar Morin. Sa pensée est un instrument qui permet de mieux comprendre le monde.
MA FRANCE
Je suis passionné par la langue française, la culture, l’histoire de ce pays. C’est la terre de la démocratie. On a beaucoup à apprendre d’elle… et elle a beaucoup à apprendre de nous. J’ai l’impression que dans certains domaines, comme l’identité, elle reste en retard. La force de la France à l’avenir, c’est de s’ouvrir encore plus.
MON IDENTITE
Il n’y a pas d’identité nationale, elle est mouvante. Plus on avance dans la globalisation, plus nos identités deviennent plurielles. On s’enrichit par la confrontation et les similitudes de différentes cultures.
MON MODELE
Le pays qui va lentement mais sûrement et qui m’inspire beaucoup, c’est l’Inde. Sa politique est basée sur sa culture et la force de sa population. C’est très dangereux de séparer la culture de l’économie.
MA PASSION SECRETE
La poésie. Oui, oui j’écris. Mais non, non, non, je ne vous montrerai pas mes poèmes.
Propos recueillis par Eric Le Braz |