On la retrouve dans le bar d’un palace un peu suranné à Paris. On ne la reconnaît pas tout de suite, ses cheveux aujourd’hui bouclés cachent son visage si changeant, comme si quatre saisons passaient sur un paysage en quelques secondes. Elle ressemble à une tragédienne sans le masque. Elle aime rire. Quand on a eu une drôle de vie, autant trouver sa vie drôle.
On est fan de ses chansons. Elles sont hors du temps, à rebrousse-mode. Sur YouTube, son interprétation de Cours rappelle les chanteuses réalistes et le jeu de Juliette Gréco dans les boîtes existentialistes. Son premier single vient de sortir. On peut le télécharger au Maroc sur Deezer ou iTunes en attendant une distribution plus complète. Le titre phare Il y a toi est une ritournelle sautillante et primesautière sur un air de jazz manouche. Mais les textes sont ciselés au scalpel et décrivent à la perfection l’égoïsme du sentiment amoureux indifférent au reste de la planète.
Soukaina Oufkir prévient d’emblée qu’elle n’a pas envie de raconter encore et toujours ses années recluses. Ça tombe bien, on n’est pas là pour ça. On veut lui parler de sa musique et de ses textes. Mais bien sûr, les images du passé reviennent sans cesse au fil de l’interview sans qu’il soit nécessaire de les invoquer...
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Maman
Je lui ai dédié le disque car elle m’a donné le souffle. Je suis quand même orpheline de père depuis mes neuf ans, et c’est le socle de ma famille. Elle m’a donné une éducation rigoureuse mais qui m’ouvre toutes les portes. Je peux être assise avec un SDF comme entrer dans un palace. Pendant la captivité, elle n’a pas cessé de nous éduquer. Même quand nous étions séparés, elle nous éduquait à travers les murs. Puis Malika a repris le flambeau...
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La musique
J’étais très jeune. Il nous restait encore une radio et j’écoutais la musique ; et vers 14 ans, à Bir-Jdid, je me suis dit : « C’est le métier que tu vas faire. » La vie en a décidé autrement. Mais la veille de mes 40 ans, j’ai fait le point. Il me restait un rêve. C’était la musique.
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Juliette Gréco
Je vous rappelle Juliette Gréco ? Quel honneur ! C’est une femme que j’admire. Moi, je n’ai pas une grande voix. Je fais avec ce que j’ai. Mais après avoir appris les notes, à poser sa voix et à respirer, il reste l’interprétation. Juliette Gréco peut lire le bottin et vous faire pleurer...
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La chanson que j’aurais aimé écrire
Drouot de Barbara. Une chanson splendide, très peu connue. L’histoire d’une femme qui est dans une vente aux enchères de Drouot, et elle voit sa vie être vendue. Les mots sont justes. Une belle chanson, c’est une magnifique histoire racontée en trois minutes.
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Les concerts qui m’ont scotchée
Côté show, Madonna. J’en ai vu trois, sauf le dernier. J’ai admiré le professionnalisme à l’américaine. Ce n’est pas pour le chant qu’on va voir Madonna, mais pour la danse, les costumes, le show. Côté émotion, Aznavour. Il avait plus de 80 ans et a chanté deux heures, sans s’asseoir, sans boire une goutte d’eau. Un grand monsieur.
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La rime dont je suis le plus fière
« Et pour parler de moi, ne dis pas qui je suis.
Ni ce que j’ai souffert, ni ce que tu m’as pris.
Je ne t’ai rien offert, je ne t’ai rien cédé ;
Je t’ai seulement aimé comme d’autres vont à la guerre. »
C’est le refrain d’une chanson qui s’appelle Mes ancêtres sont berbères... C’est une déclaration faite à l’autre dans le côté le plus prétentieux qu’a l’amour. Quand un être aime, il a l’impression que c’est le plus beau cadeau qu’il puisse faire à l’autre. Sauf que la personne en face n’a peut-être rien demandé !
Propos recueillis par Eric Le Braz |