La fontaine clapote devant un de ces hôtels sans charme dont Agadir a le secret. On s’assied sur nos chaises en plastique, et Ammouri M’Barek prend la parole. Au fil des mots, on oublie progressivement le cadre peu réjouissant de la rencontre. On se rappelle qu’Agadir, à part ses Club Med et ses piscines, c’est la porte du Souss. L’âme d’une musique amazighe dont Monsieur M’Barek fut un des grands rénovateurs dans les années 70 avec le groupe Ousman. Aujourd’hui, icône tranquille, il joue seul. A chaque fois, le public l’accueille comme un ambassadeur de retour au pays : avec chaleur et respect. Concernant l’édition Timitar de cette année, les témoignages sont unanimes : il a mis le feu au Théâtre de Verdure, cet amphithéâtre en plein air qui se prête pourtant le plus souvent à une écoute passive du public. Ammouri, raconte-nous une histoire ! La tienne de préférence…
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Agadir
Pour ma carrière, je suis évidemment passé par Agadir. J’ai enregistré ma toute première chanson à la radio marocaine régionale d’Agadir en 1961. C’est une étape indispensable. J’y ai passé un certain temps, c’est la plaque tournante du Souss ! On ne peut pas venir au Souss sans passer par Agadir.
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Mon groupe
C’est mon premier groupe, Ousman, créé en 73-74 à Rabat. Nous étions le seul groupe de chanson berbère à utiliser des instruments occidentaux. On a essayé de faire sortir ce style musical de sa léthargie et de sa marginalisation. Avant, quand on parlait de chanson berbère c’était le Sud, le Souss, Agadir. C’était « pittoresque ». Il a fallu se débarrasser de ce carcan. Maintenant, l’histoire et le public le reconnaissent très bien : on a réussi cette mission. On n’était pas seuls bien sûr, il y avait d’autres musiciens parmi lesquels Nass El Ghiwane, Younès Megri, Mahmoud Megri…
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Ma poésie
Moi je choisis mes paroles, mes paroliers. Je ne peux pas chanter n’importe quoi. Si je ne me vois pas dans les paroles, je ne peux pas les chanter. Il faut que je sente une forte complicité entre le poète et moi. Ce que je dois chanter doit porter en lui l’Homme, avec un grand « H ». Et puis la poésie dans sa beauté, sa métaphore, ses images, ses imageries. Le mot. Rien que le mot, bien recherché, bien fait, bien inséré…
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Ma comparaison avec Dylan
J’adore Bob Dylan. Si on me compare à Bob Dylan, c’est la gloire. « En route pour la gloire ! » comme écrivait Woody Guthrie, le père spirituel de Dylan. Si on me compare à ces gens-là , je n’ai plus rien à dire. Si on me compare à lui, c’est d’abord à cause de l’esprit, de l’attitude. Ensuite, c’est les ballades. Ma guitare, mes créations sont surtout des ballades.
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Mon engagement
Ce n’était pas un déclic, mais une simple volonté. Je crois que c’est ancré en moi. C’est inné. Je crois que je suis rebelle de nature. Il vaut mieux naître rebelle. Naître rebelle, c’est la force de toute création. Et puis par la force des choses, avec ton existence, tes sensations de chaque instant, cette douleur qui te pénètre, qui bouillonne, l’engagement se fabrique. Mais il y a aussi l’engagement pour la perfection de la chose que tu fais. Une perfection pour l’aboutissement de tes rêves. La perfection, la grandeur de la beauté, des choses, de l’Homme, la recherche de l’épanouissement de l’Homme…
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Propos recueillis par
Nicolas Salvi |