Quand on l’a vu assis à la table des intervenants au forum du festival d’Essaouira, on a été un peu surpris au début, mais pas tant que ça. C’est tout à fait son genre à M. Annegarn d’apparaître là où personne ne l’attend et, au passage, de faire avancer le débat sur la culture berbère. Pas si anormal quand on habite le Maroc depuis une vingtaine d’années. Dick Annegarn avait fait fureur dans les années 70 pour ses chansons qui parlaient de Bruxelles et de géraniums. Ensuite, il avait disparu. Puis, il était revenu sur la pointe des pieds, sortant album exemplaire sur album exemplaire en catimini. A chaque fois, à chaque disque, une voix qui semble vouée à la jeunesse éternelle et un jeu de guitare tout en blues. Connu pour son humour absurde, son anticonformisme et sa discrétion, Dick Annegarn n’a rien changé à ses habitudes. La preuve.
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Mon forum
Le forum, c’est un Parlement, on parle ! C’est pour ça que je vis au Maroc. Pour pratiquer le verbe. C’est un autre parler ici que quand je parle avec des Marocains. Je ne suis même pas français, donc je parle nécessairement étranger quand je viens ici. Tout Marocain parle deux ou trois langues. Il y a cette diversité à l’intérieur de chaque Marocain. Moi, je suis berbéro-néerlandais, enfin, Nolandais, de No land : pas de pays mais aussi tous les pays.
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Mon exil
Le rôle de l’artiste occidental est d’être voué au vedettariat ou à l’engagement malgré lui. Moi la culture pop et la culture dissidente, je les trouve un peu prétentieuses. Entre Sheila et Léo Ferré, je n’avais pas cette ouverture qu’on trouve ici, par exemple. La variété a été uniformisée : variété de gauche ou variété de droite. C’était triste… Alors je suis parti en banlieue, et à Lille. C’est parallèlement que je vivais aussi ici à Essaouira, en périphérie de la périphérie. C’est de là qu’on perçoit le mieux le monde.
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Mon recyclage raté 1
J’ai essayé de me recycler hein, j’ai essayé de créer une ligne de fringues et un studio à Phnom Penh, au Cambodge. Je faisais du raï khmer, un style de musique qui existait déjà  ! Il fallait juste souffler dessus et donner des outils. Comme j’avais un peu de matériel qui me restait de mon métier, j’ai essayé de me recycler là -bas, mais c'est raté. Enfin j’ai raté, je me suis taillé ! Il y avait pas de fringues, y’avait des flingues.
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Mon recyclage raté 2
Un Thaïlandais qui avait un atelier de couture m’a suggéré de monter avec lui une usine à fringues, de street wear. Il a su que mon frère travaillait pour l’enseigne C&A, donc il a cru que je pouvais lui écouler sa production thaï… J’ai essayé de me recycler plusieurs fois, de partir en Tchécoslovaquie, en Hongrie…
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Mon Jeu de guitare
Les gnaoua jouent avec leur pouce, ils font un peu de picking eux aussi. Moi, c’est en écoutant les vieux bluesmen, Big Bill Broonzy, Leadbelly, Skip James, des guitaristes assez sophistiqués qui jouaient de la guitare avec leurs doigts (pas au médiator) que j’ai appris la guitare. Ici, je peux quasiment dire que je suis revenu aux sources de cette culture orale d’une part, et d’une musique assez sophistiquée, avec peu de choses, d’autre part. C’est le principe aussi de la poésie chinoise, le minimum complet. Mais je ne suis pas virtuose hein ! Mais c’est vrai que quand tu joues de plusieurs doigts, c’est pas un onglet (rires) ! Là y’en a au moins quatre…
Propos recueillis par Nicolas Salvi |