On pèse nos mots, ce type est un génie. La preuve.
Lui : Tu es paranoïaque.
L’autre: Comment tu sais ?!!
Vous en voulez une autre ?
Des fois, je vais dans un centre pour amnésique. Je rentre dans la chambre d’un patient. J’attends qu’il se réveille et je dis « Papa ? »
On arrête là . Si ça ne vous fait pas rire, vous n’êtes pas anormal.
A ses débuts, la moitié des quinze pelés qui osaient venir l’écouter partaient avant la fin. Au Marrakech du Rire, tout le monde ne s’esclaffait pas aux aphorismes stratosphériques de cet humoriste hors-norme. Et d’ailleurs, on ne rit pas tous en même temps à un show de Redouanne Harjane. Faut suivre.
De père marocain, de mère algérienne et de passeport français, il avoue : « J’étais déjà schizophrène sans ça. » Ce qui lui fait poser de bonnes questions : « Est-ce qu’un shizophrène qui se suicide est un assassin ? » Bienvenue dans la tête de Redouanne Harjane.
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Ma ville
J’ai grandi à Metz, l’agglomération la plus glauque de France. C’est la ville de Francis Heaulme (un serial killer, ndlr), de Patrick Dills (une victime d’une erreur judiciaire), mais aussi de Verlaine, de Koltes... En fait, c’est une ville très froide, en pierre jaune. L’hiver il fait nuit très tôt. Avec les rues pavées, on se croit dans le Londres des années vingt. C’est pourquoi je suis parti à seize ans de chez moi. Metz ne pouvait pas être ma limite.
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Marrakech
J’aime beaucoup les bars à putes de Marrakech (rires). Non, je déconne, Marrakech n’est pas le Maroc, c’est un terre-plein en mouvement permanent et une profusion de bars à putes, malheureusement. C’est « chelou » (louche).
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Casablanca
C’est une ville à cent à l’heure, elle ne triche pas. Tu peux t’y noyer, elle n’apaise pas. Mais c’est la ville de mon « reup » (père), je me sens un peu casaoui. C’est une ville qui me ressemble, on s’y bagarre mais jamais pour rien.
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Un mentor
Ma maman. Elle m’a beaucoup influencé dans ma vie de merde ! (re-rires) Mais mon oncle aussi m’a beaucoup aidé dans la vie. Il m’a sensibilisé à la lecture. J’étais un gamin en colère et il m’a apaisé. Petit, je voulais être mon oncle. Et pourtant, il n’était pas funky du tout ! C’est un médecin qui dit « mange tes légumes ». Mais il était toujours classe. Quand il filait une claque, ce n’était pas par derrière, il n’était pas fourbe.
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Une réplique que j’aurais voulu écrire
– Pourquoi tu fermes les yeux quand je t’embrasse ?
– C’est pour mieux te voir.
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Ma guitare
« Il » fait partie de mon identité scénique. J’en parle au masculin car une guitare est hermaphrodite. Elle a les courbes d’une femme et le manche d’un homme... Tu peux la prendre dans tes bras, elle ne te repousse jamais. Parfois, je dors avec elle... Lors de mes premières scènes, je n’assumais pas mes textes, j’étais perdu. Elle m’a beaucoup aidé.
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Mes limites
J’ai toujours peur de décevoir et d’être une supercherie. Mais jamais d’aller trop loin. Il est interdit d’interdire le sentiment de rire. C’est universel et illimité. Si on ne veut pas rire, on sort.
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Mon modèle
Steven Wright, un humoriste américain qui écrit pour Jim Jarmush, c’est un grand monsieur. C’est lui qui m’a appris à ciseler mes textes, à structurer mes pensées, à faire des aphorismes. C’est très beau, pas que drôle. Avant j’étais bavard... comme maintenant. Cette interview est très longue, non ? D’ailleurs je suis surpris que vous soyez encore en vie !
Propos recueillis par Eric Le Braz |