Des photos, des cartes postales, des films, des affiches de films dans toutes les langues, des disques… Tiens, un beau livre érotique soft japonais intitulé Lady Casablanca. Avec des photos de beautés dans le désert, des actions au porteur, des publicités, des petites plaquettes, des guides touristiques – « Il n’y a que là qu’on peut trouver le prix d’un taxi à Casablanca en 1940 » –, des cartes d’adhérents, des bons points, des correspondances, des partitions, des étiquettes d’hôtel, des boîtes à kif (vides) de « premier choix, spéciales pour notable », des paquets de cigarettes, une armoire pleine de négatifs du photographe Bonnin (trente années de l’histoire mondaine de Casablanca, des arrivées du Tour du Maroc à l’élection de Miss Tahiti)... ouf. Bienvenue chez Mohamed Tangi, dont l’incroyable collection est la mémoire vive de Casablanca.
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Le déclic
Un jour, je suis allé à une conférence sur Casablanca. J’ai tellement été déçu par le conférencier que j’ai voulu me documenter par moi-même. J’ai acheté un bouquin puis des photos, des cartes postales, des films... la collection pouvait commencer.
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Mes origines
Mes arrière-grands-parents, des Casablancais, étaient cultivateurs sur la colline d’Anfa. Je suis un véritable indigène. J’allais à la plage à Aïn Diab et je passais dans notre douar, Tangi, là où se situe maintenant Hédiard, en face du palais saoudien.
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La pièce qui me manque
L’affiche de Les Hommes nouveaux (un film de Marcel l’Herbier de 1936). Un jour, cette affiche tombera, je chine partout. Il n’y a plus rien à Derb Ghallef mais j’ai des amis rabatteurs. Je passe quatre heures par jour sur ebay, je fais tous les salons... Quand je vois le mot Casablanca, j’achète, je réfléchis après. Sauf certains gadgets comme les gants de Humphrey Bogart, les dés à coudre « Casablanca »... Mais j’en ai quand même quelques-uns !
Un Musée ?
Je suis allergique à l’argent des autres. Quand j’aurai les moyens, j’en ferai un à ma manière. Pour l’instant, j’y consacre un appartement, deux chambres à l’entrée de cet immeuble ; j’ai aussi une cave en bas... et je squatte une chambre chez ma fille.
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Ma mère
J’ai perdu ma mère, que Dieu ait son âme, il y a un mois. Ce n’était pas seulement un être cher, c’était une amie, une confidente. Ma mère était aussi une véritable encyclopédie. A 94 ans, elle avait une mémoire intacte. Je ne pouvais pas vivre vingt-quatre heures sans lui parler. Chaque matin, je lui adresse mon bonjour avec mes prières.
Casablanca
C’est ma ville. La folie me pousse parfois à croire que j’en suis propriétaire ! Je ne peux pas passer plus de trois jours à Marrakech ! Casablanca, c’est une très, très belle femme... Mais malheureusement, depuis une dizaine d’années, elle doit supporter un très mauvais salon de coiffure, la communauté urbaine, qui ne sait pas la maquiller ! On ne prend pas soin d’elle, la pauvre, elle se détériore.
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Lyautey
On est tombé sur un homme plus royaliste que le roi. Le « roi » Lyautey a tracé la ville et il a même eu des problèmes avec la France, car l’aménagement de Casa coûtait très cher. C’était un guerrier et un bâtisseur. Il nous a d’abord fait la guerre. Mais pour bien s’aimer, il faut connaître son histoire. Et aujourd’hui, on est plus français qu’égyptien... Il faut garder ces bâtiments coloniaux, il faut les sauvegarder. Que ceux qui critiquent le travail de Lyautey fassent mieux !
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Propos recueillis par Eric Le Braz |