Mais que fait Driss Ksikes cette semaine? Quand il ne publie pas des études sur les internautes, il écrit une nouvelle pièce pour Dabateatr, boucle Economia, dirige le Cesem ou met la main à la pâte pour monter les entretiens Ibn Rochd Averroès dont les tables rondes débutent cette semaine à Rabat (voir page 94). L’auteur infatigable est aussi un organisateur d’événements : « C’est important d’habiter sa cité et d’être un passeur. Malheureusement, on est dans une société où on ne lit pas beaucoup. Etre écrivain ne suffit pas pour exister dans la cité. Organiser des débats et favoriser la création fait aussi partie des enjeux. »
Ksikes a connu plusieurs vies et a toujours plusieurs jobs : journaliste, dramaturge, traducteur, écrivain, professeur... Bref un véritable intellectuel multicarte. Mais lui seul sait quel est vraiment son métier...
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Mon métier
Ecrivain. S’il y a un métier, c’est celui-là . Je suis d’abord un homme de l’écrit. Ma formation initiale est d’être traducteur. J’ai écrit des pièces avant d’être journaliste. Je suis arrivé au journalisme par la critique littéraire. Je continue d’écrire, j’enseigne même l’écriture. En tant que journaliste, j’ai toujours eu un comportement d’écrivain et de lecteur. On me disait « mais tu n’as pas besoin de bouffer six livres pour écrire un article ! ».
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Mes mentors
Je n’ai pas de mentor mais il y a des gens qui m’ont marqué dans mon parcours. J’ai écrit des textes dernièrement en hommage à Simon Lévy et Nabil Lahlou. Je pense aussi à monsieur Idrissi, le directeur de l’école où j’ai fait mes classes après ma maîtrise. Tous m’ont appris le sens de l’éthique et de la rigueur, l’exigence vis-à -vis de soi, le sentiment d’être impliqué dans la cité.
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Ce dont je suis le plus fier
Le rapport triangulaire avec mon épouse Imane et ma fille Lina. C’est un petit cocon où trois personnes apprennent à être des individus liés et non pas redevables à quiconque, dépendants de l’autre...
Ma femme monte une des mes pièces actuellement mais elle fait aussi d’autres choses toute seule. Nous avons un grand sens de l’indépendance.
On a également appris à notre fille le sens de l’autonomie, ce que veut dire être libre et en même temps assumer sa liberté. Je suis fier de cette relation qui nous lie.
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Mon dramaturge
Samuel Beckett parce qu’il a su saisir le pouls d’une époque, après la Deuxième Guerre mondiale, par la parole et le silence. Il disait toujours : « Une pièce de théâtre est comme une symphonie. Les silences ont autant d’importance que les mots. » Avec sa grande sensibilité, il a su capter l’absurde qui se trame dans la vie contemporaine.
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Le livre qui a changé ma vie
Le premier fut L’âge de raison de Jean-Paul Sartre que j’ai lu à 13 ans. Mais si je dois citer l’auteur qui m’a le plus marqué, c’est James Joyce avec A Portrait of the Artist as a Young Man, je l’ai lu en anglais car je suis aussi angliciste. C’est un roman extraordinaire, un roman initiatique dans lequel on voit comment se débarrasser de la clôture dogmatique, comment s’affranchir de l’enfermement par la religion.
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Utopiste ?
Je le suis un peu. Le « u » est une négation et l’utopie est le « non topos », la négation du lieu, le « non lieu ». Je pense que si on ne garde pas à l’horizon un « non lieu » possible, on est dans l’enfermement.
Propos recueillis par Eric Le Braz |