J’accuse. Je vous accuse tous. Je vous accuse d’avoir perdu vos rêves de jeunesse. Je vous accuse d’avoir oublié qu’un jour vous avez voulu être pêcheur sur une île déserte, musicien sur une place publique ou poète incompris.

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Je vous accuse d’avoir étouffé vos rêves avec une cravate et un costume trois pièces. Je vous accuse d’avoir cédé au pouvoir de l’argent et à l’argent du pouvoir. Je vous accuse d’avoir cédé à vos parents, à vos profs, aux flics et au Makhzen. Je vous accuse d’avoir perdu votre virginité, à force de baisser les yeux et la tête.

J’accuse les patrons. Je les accuse d’avoir fait croire aux hommes que le bonheur venait du travail. Je les accuse d’avoir fabriqué des esclaves des temps modernes.  Je les accuse de se faire de l’argent sur le dos de leurs chauffeurs, coursiers et gardiens de parking.

Une place de parking bien propre, sur laquelle ils veillent comme ils devraient veiller sur leur conscience, désormais souillée par un compte en banque bien garni et des vacances à Ibiza.

Etre comme il faut

J’accuse les publicitaires d’avoir fait croire à la secrétaire qu’il fallait avoir le dernier sac Vuitton pour être comme il faut. J’accuse la secrétaire d’être tombée dans le panneau la tête la première. Je l’accuse de se saigner à blanc pour être comme les autres, l’assistante de direction, la comptable, et sa voisine de palier.

J’accuse cette étudiante à la fac, qui arbore sa fausse montre Gucci achetée au Maârif en cachette, d’oublier qu’elle peut espérer mieux qu’un mari à 25 ans pour lui en acheter une vraie.

J’accuse son frère qui arbore un keffieh autour du cou pendant les manifs du 20-Février d’être machiste, homophobe et antisémite. Je l’accuse de croire que tous les flics sont corrompus, et de n’avoir que du mépris pour eux, parce que lui a un bac+5.

J’accuse les flics de ce pays qui sortent leurs matraques contre une jeunesse qui veut marcher dans les rues des métropoles et des bourgades. J’accuse cette police qui a oublié que sa mission était de veiller sur les citoyens et non pas de leur faire mal. J’accuse les flics d’oublier de sourire.

J’accuse Yasmina Baddou de faire la sourde oreille. Je l’accuse d’oublier que d’autres ont des enfants. Que dans les urgences, il y a trop de gens qui meurent. Je l’accuse de se dire que, de toute façon, elle n’en a pas pour longtemps et qu’un autre – une autre – héritera de ces drames et qu’il ou elle se débrouillera avec. J’accuse les médecins d’avoir laissé leur serment d’Hippocrate à la porte de leur cabinet et de la salle d’opération.

Langue de bois et propagande

J’accuse les politiciens de parler une langue que plus personne ne comprend. Je les accuse de s’accrocher à leur siège en cuir. Enfermés dans leurs bureaux au luxe douteux, je les accuse d’avoir perdu la tête au point de ne plus savoir pourquoi ils sont là. J’accuse leurs calculs, leur langue de bois et leur propagande.

J’accuse ce système qui a fait de certains de mes compatriotes des individus dénués de tout esprit de citoyenneté et de respect d’autrui. J’accuse ceux qui réclament des droits sans manifester le moindre sens du devoir.

J’accuse ceux qui ne balayent pas devant leur porte. J’accuse mon pays, celui où ma fille va grandir... où je vais devoir lui apprendre à se battre alors que j’aimerais lui apprendre à aimer.

J’accuse mes compromis, mes hypocrisies et mes lâchetés. J’accuse mes silences douteux, j’accuse mes colères égoïstes qui font que, parfois, j’aimerais être ailleurs.

Maria Daïf