Marchés publics, stratégies sectorielles
On avait presque fini par s'y faire. McKinsey, le célèbre cabinet international de consulting, est derrière toutes les décisions stratégiques de ces dernières années. Au point que l'enseigne américaine, qui n'a cessé de tisser sa toile en toute discrétion, a survécu à toutes les équipes gouvernementales. L'idylle entre le Maroc et McKinsey dure, ainsi, depuis plus de trente ans.
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Mais voilà qu'au lendemain de l'attentat de Marrakech, la directrice générale de la station balnéaire de Mazagan lance un pavé dans la mare. McKinsey qui, au cours de cette dernière décennie, a été la cheville ouvrière de toutes nos fameuses stratégies sectorielles, dont la faisabilité financière reste toutefois à prouver, se serait empressé d'interdire à ses équipes de se rendre au Maroc. Belle preuve de reconnaissance et surtout de conviction dans les actions prônées pour relancer la croissance et le développement du Royaume !
Même si elle paraît anodine, une telle décision émanant d'un cabinet de conseil, et non des moindres puisqu'il emploie plus de 8 000 consultants à travers le monde, ne peut être le fruit ni de l'ignorance, ni de l'improvisation, compte tenu de son accès privilégié à l'information. Alors la situation serait-elle à ce point chaotique sans que nous, citoyens marocains, soyons conscients du danger qui nous guette ? Un message comme celui que vient d'envoyer McKinsey – et plus particulièrement McKinsey Espagne – à ses équipes, équivaut à une dégradation du rating du risque souverain, l'un des indicateurs les plus suivis par les investisseurs internationaux.
La frilosité de l'enseigne qui, pourtant, a été la première à investir le marché marocain dans les années 80, période tout aussi perturbée que l'actuelle, laisse perplexe. En plus des tensions politiques et sociales et de son archaïsme économique, le Maroc offrait, à l'époque, peu d'opportunités en matière de consulting tandis que l'expertise locale était embryonnaire. Mais McKinsey sent le filon et nos dirigeants lui déroulent le tapis rouge, lui ouvrant toutes les portes des administrations. Se succèderont alors les missions, au fil des programmes de privatisation et de libéralisation des secteurs. Bien entendu, nul n'est dupe.
En attendant le constat de l'IGF La signature d'un cabinet international tel que McKinsey, achetée à prix d'or, a dû faciliter le placement de nombreuses entreprises auprès d'investisseurs étrangers. Mais en contrepartie, l'enseigne américaine gagne la confiance de nos gouvernants, et remporte, haut la main, des marchés aussi juteux que les plans Emergence I et II, Maroc Vert, Halieutis, Azur, et plus récemment le plan national de la logistique ou celui de l'énergie solaire. Or, tous ces marchés ont été attribués soit par entente directe, soit dans le cadre d'appels d'offre restreints, « pour gagner du temps et garantir un maximum d'efficacité ».
En dépit de la bonne foi des uns et du professionnalisme des autres, de telles pratiques n'ont cessé d'alimenter les suspicions. D'autant plus qu'à ce jour, aucune étude d'impact des premières missions de McKinsey n'a été effectuée, que ce soit en termes de créations d'emplois ou d'investissements réalisés. Alors, sur quelle base nos décideurs politiques ont-ils nourri leur confiance et attribué les marchés suivants au cabinet américain ? Le Maroc peut-il encore se permettre de fermer les yeux sur l'opacité de marchés qui se chiffrent en centaines de millions de dirhams ? Il était temps que l'Inspection générale des finances (IGF) s'y intéresse en déclenchant une mission auprès des administrations commanditaires de ces études dites stratégiques. Reste à savoir si le voile sera totalement levé sur des dossiers qui ont fait couler beaucoup d'encre.
Mouna Kably |