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Casablanca, la ville sans culture 
actuel n° 96, vendredi 27 mai 2011
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5 millions d’habitants, un musée


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Je vis dans un désert. Un désert de cinq millions d’habitants. Un désert peuplé de boutiques de luxe, de restaurants japonais, de centaines de cafés, de dizaines de cabarets… et d’un seul musée.


Un tout petit musée paumé dans une rue introuvable de l’Oasis. C’est le Musée juif de Casablanca, un lieu émouvant, bricolé sans trop de moyens et qui se révèle passionnant avec un bon guide. Sauf qu’on a vite fait le tour des lits clos et de la synagogue reconstituée. Seulement, c’est tout ce que la plus grande métropole du Maghreb a à offrir...


Ici, vivent quelques-uns des plasticiens les plus novateurs du monde arabe. Pourtant, à l’exception de galeries qui n’attirent que les convaincus, et du mouchoir de poche de la villa des Arts, il n’y a pas un seul espace permanent d’art contemporain dans une ville où la culture est reléguée à l’underground ou à l’élitisme.


Il y a bien un musée d’art moderne en construction, mais c’est à Rabat que ça se passe, et l’architecte de ce bunker néo-mauresque semble se prendre pour un contemporain de Lyautey. Pour la modernité, on repassera.


La modernité dans la capitale économique, ça donne les boules. Des centaines de boules de geisha plantées sur la corniche à 3 000 dirhams l’unité. Et des bancs en marbre qui ressemblent à des pierres tombales. La ville la plus riche du Royaume n’a pas un kopeck à miser sur la culture durable. Mais n’a pas peur de financer des équipements ostentatoires inutiles.


D’accord, il y a les festivals. De beaux moments de fusion collective, les festivals. Oui, quatre jours par an. Mais la culture au quotidien, walou ! Hormis la toute récente médiathèque qui a mis près de vingt ans à ouvrir au pied de la mosquée Hassan II, il n’ y a pas de bibliothèques publiques à Casa.


Les cinĂ©-clubs ont Ă©tĂ© remplacĂ©s par un multiplexe qui diffuse des  blockbusters avec une acoustique de garage. Si on aime le théâtre, il faut attendre qu’une pièce de boulevard passe ici tous les 36 du mois. Ne parlons mĂŞme pas de danse…

Alors, d’accord. Tout n’est pas noir. L’Institut français programme un ou deux
chorégraphes prestigieux chaque année, fait tourner des pièces du répertoire et finance même la diffusion de films d’art et d’essai au cinéma ABC, chaque dimanche soir. Tant mieux.

Ou tant pis ? Pourquoi le Maroc devrait-il se contenter du mécénat culturel parisien ? Ce sont d’instituts marocains dont nous avons besoin !

Trop cher ? C’est un choix politique. Et un choix économique. L’Etat n’a pas d’argent ?
Une marque pourrait aussi bien sponsoriser un musĂ©e ou une salle de  spectacle permanente, Ă  son nom pourquoi pas, plutĂ´t qu’un festival. Et ce ne serait pas de l’argent qui s’évapore une fois les podiums dĂ©montĂ©s.

L’investissement culturel n’est pas un puits sans fond. Quand Casablanca veut attirer des entreprises internationales, la ville doit lutter avec des métropoles comme Istanbul, Barcelone ou le Caire. Le critère de choix ne se limite pas seulement au coût horaire des ouvriers.

L’offre culturelle est un Ă©lĂ©ment primordial pour attirer cadres sup et  dirigeants. Et ici, en attendant l’érection du futur théâtre de CasaArt, elle est proche de zĂ©ro. Il n’y a pas d’offre alors que la demande est loin d’être nulle.

Regardez les foules qui se pressent au salon du livre de Casa. Quand l’association Darja a proposé des stages de danse contemporaine aux femmes de Hay Mohammadi, on a dû refuser du monde !

Hélas ! La culture n’est pas un enjeu et ne le sera jamais. J’aimerais pourtant aussi entendre « ignorance, dégage ! » dans les manifs.

Certes, on peut toujours arguer qu’il faut d’abord éradiquer les bidonvilles ou construire des hôpitaux, et que la culture est un problème de riche. C’est la meilleure façon de maintenir le peuple dans l’obscurantisme. C’est le meilleur moyen de laisser la voie à ceux pour qui la culture se résume à un seul livre.

Eric Le Braz
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