Si le Maroc est « le plus beau pays du monde », comme on pouvait le lire sur les affiches de l’ONMT à une certaine époque, il ne va pas le rester longtemps. Car certains se sont jurés de le défigurer en le bétonnant à tort et à travers. Et ceux qui devraient les en empêcher (Conseil de ville, agence urbaine, walis, etc.) ont apparemment d’autres chats à fouetter.
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Casablanca est l’illustration parfaite de ce phénomène. En moins de cinquante ans, on a réussi à faire d’une ville au patrimoine architectural unique, dont les constructions blanches se dressaient face au bleu de la mer et au vert de ses nombreux parcs et jardins, un véritable « foutoir » urbanistique, une cité indubitablement laide, à l’exception de quelques quartiers huppés ou encore préservés.
Les quartiers populaires sont certes les plus tristes, les immeubles blockhaus s’enchaînent, sans parc ou arbres d’alignement pour égayer la vie des habitants, mais dans les quartiers plus « riches », l’état des lieux n’est guère reluisant.
Pire, les avenues les plus récentes sont aussi les plus disgracieuses. Ainsi, sur le boulevard Abdellatif Ben Kaddour, les façades des immeubles, pour la plupart sans terrasse ou balcon (de l’espace perdu pour les promoteurs), rivalisent d’ostentation, sans aucun souci d’unité. Colonnes, vitres teintées et ferronneries clinquantes se côtoient et s’entrechoquent. Visiblement, l’idée d’harmoniser un tant soit peu la façade d’un bâtiment avec ceux précédemment construits n’a pas effleuré grand monde.
Seuls semblent primer les signes extérieurs de « haut standing ». Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué et voyant ? Rien ne rappelle l’architecture marocaine traditionnelle ou encore l’Art déco qui a fait la renommée de Casablanca. Le désir de rompre avec le passé, avec l’ancien colonisateur ? Plutôt l’avidité de promoteurs obnubilés par la rentabilité et dont le seul souci est d’exploiter au maximum chaque centimètre carré de terrain.
Et ces derniers ont les mains libres puisque ni les architectes ni les autorités ne semblent vouloir – ou pouvoir – les brider. Du coup, la « ville blanche » ne l’est plus vraiment : on peint allègrement les façades en gris, jaune ou orange. Une aberration qui ne serait pas permise à Marrakech. Car certaines villes sont moins massacrées que d’autres : dans la capitale touristique du pays, on ne peut se permettre de laisser passer n’importe quoi… Quant à Rabat, c’est « la ville du roi », et ça se passe de commentaires.
Mais la corniche de Tanger est un miroir fidèle de la gabegie qui règne dans son secteur immobilier, dominé par le blanchiment d’argent des grands trafiquants de drogue. Et la côte méditerranéenne est en passe de se transformer en remake bétonné de la Costa Del Sol.
A coups de « resorts » et autres projets de résidences secondaires, la côte entière sera bientôt construite sans tirer les leçons de nos voisins espagnols et tunisiens. C’est ce que veulent les autorités. Ces dernières, qui ont la vue courte, ne pensent en effet qu’en « nombre de lits et d’emplois créés », sans voir que dans dix ans, les précieux touristes « à fort pouvoir d’achat » iront voir ailleurs, à la recherche d’une nature préservée, de monuments mis en valeur, etc.
Sur les plages atlantiques, le scénario catastrophe se répète. Prenons l’embouchure d’un oued, dans le sud du Maroc, refuge d’une flore et d’une faune en voie de disparition… Un endroit idyllique à préserver et à mettre en valeur : parc national, écolodge ? Non. Juste l’opportunité de construire un mégaprojet immobilier, que l’on qualifiera d’écologique parce qu’il dispose de quelques mètres carrés de jardin en plus… Prochaine affiche : « Le pays le plus (mal) construit du monde. » ?
Amanda Chapon |