Cachez ces caméléons que je ne saurai !
Dans quel pays du monde, un député véreux peut-il rempiler sans rougir, un maire corrompu se représenter à satiété et un leader décrié battre des records de longévité ? Au Maroc, pardi !
La politique est l’art du mensonge, disait Machiavel. Chez nous, le mensonge est érigé en vertu. La pratique du déni de réalité, en politique, s’est transmise de génération en génération et cette politique du mensonge a fini par être considérée comme normale, voire indispensable.
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Travestir la vérité fait partie du quotidien du Parlement, le gouvernement a érigé la pratique en sport national. Pour tout ce beau monde, le mensonge est indispensable à la survie dans le monde des affaires, pourquoi ne le serait-il pas dans les affaires de la cité ?
Un homme politique sincère, quand ça existe, est considéré au mieux comme un naïf, au pire comme un beau salaud qui se drape de vertu pour une manipulation plus subtile des faits. Ne jetons pas la pierre à cette catégorie sociale : un de ces mêmes députés ripoux m’avait confié un jour que c’était bien eux, parlementaires décriés, qui représentaient le peuple, parce qu’ils lui ressemblent étrangement. Très juste.
« Ne dit la vérité que l’enfant ou le fou » ; « La main que tu ne peux mordre, baise-la ». Si on s’amusait à nous psychanalyser, nous autres Marocains, on trouverait que nous souffrons pratiquement tous d’un étrange trouble qui fait de nous des caméléons en puissance.
Nous pratiquons l’art du mensonge à merveille. Aveuglement unanime ? Ce serait absoudre nos dirigeants d’une politique centrée sur l’infantilisation de la population. Sans contre-pouvoir suffisamment fort et en l’absence d’une ambiance morale soutenue, le pouvoir a pris soin de neutraliser instinctivement le potentiel critique et démocratique de ce peuple.
La télévision et l’éducation ont pris le relais pour servir de véritable assommoir psychologique à une population contrainte au désespoir ou à l’exil. Mais ce serait trop simple de rejeter tout sur le machiavélisme du monarque défunt.
Il s’agit là aussi des résidus d’une véritable pensée politique animiste parfaitement intégrée par les élites du pays : donner trop de liberté aux Marocains, encourager le libre-arbitre, engendrerait des individus trop dangereux pour le pouvoir établi.
Dans cet extraordinaire concert de servilité qui a touché le petit peuple, les hommes politiques nous ont juste devancés sur ce terrain-là . Pour vivre heureux, vivons couchés : la classe politique n’est pas la seule concernée.
On trouve aussi des dirigeants d’entreprise qui par démagogie, par lâcheté, par ignorance, continuent de reproduire ce schéma. Les profils choisis le sont en fonction de leur capacité à se « coucher », la seule compétence exigée est le « béni-oui-ouisme » poussé à l’extrême. Le CV en béton pour cartonner ? Un soupçon de servilité, quelques pincées d’hypocrisie, une goutte de lâcheté représentent désormais le secret d’une longévité assurée. Une sorte d’hommage rendu à la pensée totalitaire par l’élite marocaine.
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Refuser de ramper
Le vent de liberté qui souffle sur le pays exprime aujourd’hui des valeurs fondées sur la liberté et la dignité des hommes. Cette aspiration passe d’abord par la liberté de disposer plus largement de son indépendance d’esprit. Car il va bien falloir se décider à refermer la parenthèse d’un siècle qui a vendu son âme aux dieux de l’opportunisme.
Se tenir debout, refuser de ramper, c’est le grain de sable en charge d’enrayer la machine à produire des individus lobotomisés. Des êtres capables du meilleur et du pire mais prêts à assumer les conséquences de leurs décisions, la portée de leurs actes. Pour cela, l’exemplarité des leaders reste la condition sine qua non de la société de confiance. A quand une IER des consciences ?
Abdellatif El Azizi |